« Les Libanais se sont mobilisés avec force, dès le lendemain de l’explosion, malgré le traumatisme et le sentiment d’insécurité »

  • 2020-08-15 03:49:32
Seulement six mois après son investiture, le premier ministre, Hassan Diab, a annoncé, lundi 10 août, la démission de son gouvernement, une semaine après l’explosion meurtrière au port de Beyrouth, qui a fait au moins 160 morts et plus de 6 000 blessés. Cette démission était réclamée par les manifestants qui s’étaient rassemblés samedi 8 et dimanche 9 août dans le centre de la capitale. Notre correspondante à Beyrouth Laure Stephan a répondu aux questions des lecteurs du Monde sur la situation au Liban lors d’un tchat. M. : Vous parliez de plus de 250 000 personnes sans domicile. C’est énorme ! Que sont-elles devenues ? Laure Stephan : Parmi ceux que j’ai rencontrés qui ont perdu leur maison, la plupart sont hébergés par des proches. D’autres, quand la destruction est limitée, préfèrent rester chez eux. Des associations et des volontaires s’emploient à des retouches d’urgence : poser du plastique pour remplacer les fenêtres, déblayer les décombres. De nombreuses initiatives ont été lancées – particuliers, associations, écoles privées… – pour accueillir ceux dont les maisons sont inhabitables. Mais on ignore quelle va être la réponse possible sur le moyen terme. Antoine V. : Si les élections anticipées ont lieu, a-t-on une idée du rapport de force politique qui peut s’y dessiner ? Sait-on si les manifestants et les jeunes y participeront ? La question est surtout celle de la loi électorale sur laquelle se baseraient des élections anticipées. Si cette loi électorale est la même que celle qui a servi lors des élections de 2018, elle risque fort de reconduire les mêmes partis politiques au pouvoir – avec d’éventuels changements dans le rapport de force entre ces partis. Mais elle pourrait difficilement voir émerger de nouvelles forces. En 2018, seule une candidate non issue de partis politiques traditionnels avait émergé. Orion : Un changement ou une réforme de la Constitution, comprenant notamment la fin de la division confessionnelle du pouvoir, est-ce possible et souhaité par les Libanais ? Et, si oui, quel est le processus de modification de ladite Constitution ? Sans passer par une réforme de la Constitution, une application complète des accords de Taëf (signés en 1989), qui ont ouvert la voie à la fin de la guerre (1975-1990), aurait permis une déconfessionnalisation progressive de la vie politique. Mais ces accords n’ont jamais été entièrement appliqués. Bien au contraire, le confessionnalisme politique s’est renforcé dès les années 1990. Cela fait longtemps que les Libanais constatent que l’Etat est dysfonctionnel. Mais les avis divergent, entre ceux qui veulent une abolition du système confessionnel et ceux qui considèrent que l’octroi de sièges au Parlement ou de places au sein de l’administration sur base confessionnelle est une garantie de représentativité des diverses communautés. H. : Est-ce que les secouristes ont encore de l’espoir quant à la découverte de survivants sous les décombres ? Les espoirs sont très faibles. Selon un secouriste familier des situations de catastrophe, soixante-douze heures après un drame, retrouver des survivants tient du miracle. Des disparus sont recherchés en mer et sur le site de l’explosion. Hier, l’armée a annoncé que des restes de victimes avaient été retrouvés dans la salle de commande des silos dévastés par la déflagration, ainsi que le corps d’un jeune homme noyé alors qu’il était au volant de sa voiture. Licabon : Pensez-vous qu’une révolution soit possible ? Les Libanais semblent assez désespérés par la corruption pour renverser le système. La colère et le désespoir sont en effet très forts. Ces sentiments allaient déjà crescendo depuis des mois, en raison de la crise économique et financière. Ils sont exacerbés par les explosions meurtrières. Tout l’enjeu, pour les voix qui appellent à un véritable changement, est de réussir à se politiser, à sortir du dégagisme, à se coaliser autour de quelques revendications politiques clés, afin de se poser en force de négociation. Il s’agit aussi d’attirer les Libanais qui rêvent de changement, mais qui, par peur du chaos ou parce qu’ils pensent que les revendications ne sont pas assez claires, restent à l’écart de la rue. Louise : A-t-on des chiffres sur la répression qui a eu lieu (nombre de blessées, d’interpellés) ? Selon Amnesty International, plus de 230 personnes ont été blessées samedi 8 août. En cause, l’usage de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de balles de plomb (chevrotine). Les forces de sécurité sont mises en cause pour avoir tiré sans discernement sur la foule et à proximité.

متعلقات