Les talibans snobent le gouvernement afghan et imposent leur tempo diplomatique

  • 2019-02-05 20:20:17
De Doha à Moscou en passant par Téhéran, les talibans multiplient les négociations sur l'avenir de l'Afghanistan, imposant leur tempo diplomatique tout en ignorant le gouvernement afghan, mis à l'écart des pourparlers de paix dans son pays. Au Qatar, les insurgés discutent avec les États-Unis, qui veulent retirer au plus vite leurs troupes d'Afghanistan. En Russie, ils s'entretiennent avec l'ex-président Hamid Karzaï, un opposant politique d'Ashraf Ghani. Alors qu'ils ne sont pas encore au pouvoir, mais qu'ils expliquent déjà comment ils gouverneront, les talibans sont sollicités par Moscou et Téhéran, ennemis des États-Unis, qui cherchent à tisser des liens avec eux, selon des experts. Seul le gouvernement d'Ashraf Ghani, soutenu militairement et financièrement depuis 17 ans par les États-Unis, est exclu des discussions. Les rebelles, qui le qualifient de « marionnette » de Washington, ont refusé à de multiples reprises des pourparlers directs avec Kaboul. « La triste ironie de l'histoire est que le gouvernement afghan risque de se voir écarté du scénario de son propre processus de paix », estime l'analyste Michael Kugelman, du Wilson Center, interrogé par l'AFP. Les États-Unis, qui ne cessent de répéter qu'ils veulent amener les talibans à négocier directement avec Kaboul, semblent s'entretenir dans le même temps des modalités de leur retrait avec les seuls insurgés. Les « progrès » qu'ils ont affichés après avoir discuté ensemble pendant six jours en janvier à Doha font craindre aux Afghans que les troupes américaines ne quittent leur pays avant une paix durable. « C'est un camouflet majeur » pour les autorités afghanes, qui, « sans les Américains », « n'ont pas les moyens de survivre », estime Gilles Dorronsoro, chercheur français spécialiste de l'Afghanistan, interrogé par l'AFP. Sentiment de trahison Une semaine après Doha, les talibans se sont retrouvés mardi à Moscou pour rencontrer certains des plus grands rivaux politiques d'Ashraf Ghani où ils ont exposé leur vision du pouvoir qu'ils comptent exercer à l'issue d'un accord de paix. Parmi une longue liste de requêtes, le chef du bureau politique des talibans a réclamé une nouvelle « constitution islamique » pour l'Afghanistan. Sher Mohammad Abbas Stanikzai a ensuite assuré que les talibans « ne veulent pas le monopole du pouvoir, mais un système islamique inclusif ». Ce qui se présente, selon les analystes, comme la première rencontre intra-afghane des discussions en cours, a permis aux rivaux du président Ghani, dont son prédécesseur Hamid Karzaï, de saper son leadership avant les élections présidentielles programmées en juillet. « À qui parlent-ils ? Où est leur pouvoir exécutif ? » a réagi M. Ghani mardi soir dans un entretien à la télévision afghane Tolo News enregistré dans la journée, qualifiant ces pourparlers de « fantaisistes ». « Même si des centaines de ces réunions ont lieu, si elles ne sont pas approuvées par le gouvernement et le parlement ce ne sera qu'un bout de papier inutile », a-t-il ajouté. Un sentiment de trahison transpire parmi les membres de l'exécutif à Kaboul. Amrullah Saleh, proche allié de M. Ghani, a dénoncé « une supplique adressée aux terroristes ». « Humiliation » Cet engagement taliban sur la scène diplomatique attire également une foule de puissances rivales, toutes désireuses de voir la fin de la guerre selon leurs propres ambitions stratégiques. Nombre d'entre elles ont « des intérêts fondamentalement divergents » en Afghanistan, estimé Davood Moradian, directeur de l'Institut afghan d'études stratégiques basé à Kaboul. Selon lui, les États-Unis, l'Afghanistan et l'Inde cherchent l'instauration d'une démocratie stable et un rempart contre le terrorisme. Les talibans et le Pakistan, à l'inverse, poussent en faveur de l'établissement d'une autorité islamique à Kaboul. Un deuxième groupe plus large de « parties légitimement intéressées et de fauteurs de trouble opportunistes » - comprenant des puissances régionales comme la Russie, la Chine et l'Iran - ont les yeux rivés sur la diminution de l'influence américaine dans la région, ajoute M. Moradian. Gilles Dorronsoro estime que les pourparlers entre Américains et talibans, qui devraient reprendre le 25 février, constituaient une « reconnaissance de la défaite » par Washington de sa campagne militaire dans le pays. Avec les projets de retrait en Syrie, « c'est un changement de paradigme », estime-t-il. « Cela montre que les États-Unis sont liquidés comme position dominante au Moyen-Orient. Ils n'y reviendront pas ». AFP.

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