Au Liban, l’élite politique reste sourde à la colère de la rue

  • 2019-12-17 18:16:49
Les manifestations continuent pendant que les partis politiques peinent à trouver un premier ministre. La scène semblait impensable au Liban il y a encore quelques mois, avant le soulèvement populaire : hué par des spectateurs, un ancien premier ministre est sommé de quitter le concert auquel il s’apprête à assister, à la prestigieuse Université américaine de Beyrouth. Dimanche 15 décembre, le slogan scandé dans le public contre Fouad Siniora, ancien bras droit de Rafic Hariri, ex-ministre des finances et chef du gouvernement de 2005 à 2009, était sans ambiguïté : « Dehors, Siniora. » Tentant de conserver un air impassible, l’ancien haut responsable a serré quelques mains, entouré de gardes du corps, avant de s’en aller. Après cette sortie forcée, abondamment commentée sur les réseaux sociaux, M. Siniora s’est défendu sur son compte Twitter, lundi : « L’histoire prouvera que j’ai toujours œuvré dans l’intérêt du Liban. » L’incident peut paraître anecdotique, alors que le pays est menacé d’effondrement économique et que les violences se multiplient. Mais pour les partisans de la révolte en cours depuis le 17 octobre, l’épisode montre que la société a changé. Même si les manifestants ne sont plus aussi nombreux à descendre dans la rue, des Libanais ne craignent plus de s’en prendre à l’élite politique. Soupçons de détournement Le visage de Fouad Siniora, âgé de 76 ans, a été poché sur des murs du centre-ville de Beyrouth, comme ceux d’autres responsables politiques accusés de corruption par le mouvement de contestation. Lorsqu’il était à la tête du gouvernement, le Liban n’avait pas de budget, et ses adversaires politiques l’accusent d’avoir manipulé les comptes et détourné des fonds publics. M. Siniora a toujours rejeté ces accusations. En novembre, il avait été entendu dans le cadre d’une enquête judiciaire. S’ils ne sont plus intouchables, les responsables politiques restent sourds face à la remise en cause populaire du système. Les calculs habituels pour le partage du pouvoir se jouent dans les coulisses depuis la démission du premier ministre Saad Hariri, fin octobre. « La révolte a engendré beaucoup de dégâts dans les relations entre partis politiques : des alliances se sont brisées. Mais les formations n’ont pas changé leur logiciel », décrypte un député. Lundi, les consultations parlementaires pour nommer un nouveau chef du gouvernement ont été reportées à la dernière minute, moins à cause de la colère de la rue que faute d’accord. Saad Hariri, pressenti pour faire son retour, ne pouvait obtenir le soutien d’aucun des deux grands partis chrétiens. Le même jour, des manifestants se sont rendus à proximité de son domicile, pour exprimer leur refus de le voir diriger un nouveau cabinet. Risques de dérapages Le prolongement de la crise politique accroît les risques de dérapages. Lundi soir, la violence a de nouveau pris le pas, après les heurts du week-end. De jeunes Libanais, clamant leur appartenance chiite et venus d’un quartier voisin qui est un réservoir du parti Amal et du Hezbollah, sont descendus, munis de pierres, vers le centre-ville. Arborant des drapeaux de ces partis politiques et des étendards religieux, ils ont incendié des voitures. Des soutiens des deux formations chiites ont à plusieurs reprises attaqué les places de la contestation à Beyrouth, depuis le 17 octobre. La confrontation avec les forces de sécurité, qui ont utilisé des gaz lacrymogènes, a duré des heures. La police antiémeute et l’armée étaient déployées en force. Le Hezbollah et Amal, le parti du président du Parlement, Nabih Berri, ont appelé les fauteurs de troubles à quitter la rue. Cela n’a pas empêché leurs partisans de s’en prendre à des camps de protestataires, dans le sud du pays. Selon des médias libanais, une vidéo aurait mis le feu aux poudres : un natif de Tripoli, ville du nord du Liban, à majorité sunnite, y insultait les chiites. La famille de cet homme, qui vit lui à l’étranger, a désavoué ses propos. Des responsables religieux, sunnites et chiites, sont intervenus dans la nuit sur les télévisions, afin de calmer les esprits. Sur les réseaux sociaux, des soutiens de la révolte ont dénoncé, dans la diffusion de cette vidéo, une manipulation. Ils savent qu’ils ont – comme le Liban – tout à perdre d’une confrontation confessionnelle.

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