Journaliste tué au Yémen : la piste d'une alliance entre le gouvernement et Al-Qaeda
2020-07-07 17:08:03
Le récent meurtre du reporter et activiste Nabil al-Quaety renforce les craintes des opposants au gouvernement, qui accusent le pouvoir d'avoir recours à des terroristes d'Aqpa.
Le matin du mardi 2 juin, Nabil al-Quaety monte au volant de sa voiture. Le journaliste et photographe de 34 ans, qui collabore avec plusieurs médias, dont l’AFP, n’a pas encore allumé son moteur que plusieurs hommes l’abattent à bout portant. La nouvelle de son assassinat se répand aussitôt à Aden. Depuis, une vague de peur a englouti la ville portuaire. «L’ombre des assassins de Nabil me poursuit tous les jours. J’ai vu à plusieurs reprises des hommes portant des masques garer leur voiture près de ma résidence. J’ai l’impression que quelqu’un m’observe», confie à Libération un journaliste yéménite, sous couvert d’anonymat. Salah al-Akel, correspondant pour la chaîne d’info russe RT, a, lui, carrément été menacé après la mort de son collègue. «J’ai reçu un message qui disait : «Ce sera bientôt ton tour.»»
Qui se cache derrière cette chasse aux journalistes à Aden ? Parmi les pistes, l'une revient avec insistance : le gouvernement central en exil à Riyad avec l’aide de militants d’Al-Qaeda.
Le gouvernement yéménite, dont la légitimité ne tient plus qu’à un fil, mène bataille dans le sud du pays depuis près d’un an. Le Conseil de transition du sud (CTS), regroupant des nostalgiques de l’ancien Yémen du Sud, rattaché au Nord en 1990, a en effet proclamé son autonomie le 25 avril. Malgré les accords de Riyad signés en novembre, censés intégrer davantage le mouvement sudiste à la vie politique yéménite et calmer ses ardeurs sécessionnistes, le CTS s’est octroyé manu militari Aden, Lahj, Ad Dali ou encore l’île de Socotra. Acculé au nord comme au sud, le gouvernement du président Abed Rabbo Mansour Hadi, soutenu par la coalition arabe, est en déroute. Le réveil des sudistes a fait rejaillir de vieilles inimitiés entre les deux pôles yéménites.
«Elements terroristes»
Nabil al-Quaety et ses collègues n’ont pas connu l’ancienne République démocratique populaire du Sud mais, comme une partie de la jeune génération yéménite, ils en sont nostalgiques. Après les printemps arabes, ces reporters se sont mis à couvrir la renaissance du mouvement sudiste, oscillant entre journalisme et activisme et dénonçant toujours la corruption du gouvernement central. «Ils veulent nous liquider car nous soutenons l’indépendance du Yémen du Sud, témoigne un journaliste yéménite. Ils utilisent des terroristes d’Al-Qaeda pour arriver à leurs fins comme dans les années 90.» Comme Ali Abdallah Saleh avant lui pour l’assassinat de journalistes, d’intellectuels et d’hommes politiques sudistes, Abed Rabbo Mansour Hadi semble lui aussi avoir recours à des membres d’Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) dans sa lutte contre le CTS et ses soutiens.
Fernando Carvajal, ancien membre du groupe d’experts du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen, est formel : «Il y a une coopération entre les forces armées du gouvernement et Al-Qaeda. Dans certaines provinces, ses combattants ont même bénéficié de matériel et de fonds publics.» Ces alliances avec Aqpa, le capitaine sudiste Mohammed al-Naqib dit en avoir été témoin. L’homme se bat actuellement dans le gouvernorat d’Abyan contre les forces gouvernementales. «La soi-disant armée yéménite comprend des dizaines d’éléments terroristes dans ses rangs. Notre système de renseignement nous a même rapporté des informations concernant la participation d’un haut dirigeant d’Al-Qaeda, appelé Saber Abu Ali, combattant à leurs côtés», raconte-t-il.