Responsabilité sociale et environnementale : « Pour les entreprises, la possibilité de se doter d’une “raison d’être” est une chance historique »
2021-06-26 10:20:03
A long terme, les sociétés qui s’engagent dans cette démarche consacrée par la loi Pacte en 2019 vont en tirer bénéfice et créer de la valeur, estime Alexandre Menais, vice-président exécutif du groupe de services numériques Atos, dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Beaucoup mieux qu’une mode, beaucoup plus qu’une opération marketing destinée à répondre à de nouvelles attentes, la possibilité qui est offerte aux entreprises de se doter d’une « raison d’être » est une chance historique : pour la première fois dans l’histoire du capitalisme, elles disposent ainsi d’un levier inédit et puissant [la « raison d’être » a été instaurée en 2019 par la loi Pacte – Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises – afin que l’entreprise puisse exprimer ses valeurs et sa contribution à l’intérêt collectif] qui peut leur permettre de fédérer autour d’elles la totalité de leurs parties prenantes d’une manière partagée, solide et durable.
Le temps est loin où, il y a un demi-siècle, l’économiste américain Milton Friedman [1912-2006] pouvait affirmer tout uniment : « La responsabilité sociale des entreprises consiste à augmenter les bénéfices. » Nul ne peut nier que la liberté laissée à la « main invisible » du marché a créé de la prospérité, mais qu’elle a aussi engendré des atteintes à des droits sociaux, humains ou environnementaux qui sont aujourd’hui de moins en moins tolérés. Des législations, des réglementations sont apparues pour dresser des limites au-delà desquelles le ticket du pur laisser-faire n’est plus valable. Mais ces mesures reposent avant tout sur une notion d’obligations imposées aux entreprises. Même pour la responsabilité sociale et environnementale, les critères sont dictés et le souci d’obtenir une bonne notation extrafinancière l’emporte souvent sur un engagement plus profond et sincère.
Des modèles cyniques
Dans l’histoire des entreprises, des écoles ont certes voulu défendre une vision moins exclusivement axée sur le profit que celle de Friedman. Mais ces modèles étaient cyniques, comme le fordisme, consistant à bien payer les ouvriers, mais pour qu’ils puissent acheter les Ford T qu’ils produisaient. Ou bien parcellaires, comme le modèle rhénan ou le capitalisme social, qui accordent un plus grand prix à la cohésion sociale que leur cousin anglo-saxon. Ou bien encore strictement descendants, comme le Familistère de Guise au sein duquel Jean-Baptiste André Godin (1817-1888) mettait à la disposition de ses ouvriers ce qu’il appelait « les équivalents de la richesse » : logement, garde d’enfants, école, commerces, équipement culturel, club sportif…, mis à jour par Mark Zuckerberg dans des formes tribales (Facebook City).