« Comment lire des livres qu’on ne comprend pas », d’Olivier Haralambon : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit
2021-07-05 20:06:21
Dans un merveilleux opuscule, le philosophe s’arrête sur ce qui se passe lorsqu’on se heurte à un livre difficile, et explique comment ruser.
TU NE LE COMPRENDS PAS ? LIS-LE !
C’est une stupéfaction que tout le monde, sans doute, a connue un jour ou l’autre. On a commencé à lire, en haut de la page, bien décidé à découvrir un texte, à saisir son sens. Plein de bonne volonté et de probité candide, on aborde le déchiffrement d’un œil confiant, l’esprit résolu et appliqué. Hélas, une fois arrivé en bas de la page, heurtant la dernière ligne, il faut bien le constater : on n’a rien compris ! Absolument rien. Le texte a résisté, il est demeuré lisse, opaque, mutique. Comment est-ce possible ? La stupéfaction vire à la sidération quand on se rend compte que les mots n’appartiennent à aucun jargon technique. Chacun d’eux est courant, habituel, sans mystère. De leur assemblage n’émerge, malgré tout, aucun sens.
Pareille déconvenue suscite, le plus souvent, des réactions de fuite, d’oubli, de déni. Ou de mépris pour le texte, ou encore pour soi-même. Il est plus rare, mais bien plus intéressant, de s’arrêter sur ce qui se passe et de tenter de ruser, de surmonter l’obstacle ou bien de le contourner. C’est ce que fait Olivier Haralambon, dans un merveilleux opuscule intitulé Comment lire des livres qu’on ne comprend pas. L’auteur parle d’expérience. Il fut longtemps coureur cycliste et s’est confronté, à 35 ans, à son premier livre de philosophie.
L’avantage du sportif, en l’occurrence, n’est pas simplement l’endurance, la ténacité, la patience à l’entraînement. Il réside plutôt dans cette intuition immédiate et féconde : la compréhension d’une œuvre constitue, avant toute chose, une aventure corporelle, une affaire organique, musculaire, respiratoire. Cela surprendra peut-être quelques idéalistes impénitents et spiritualistes fanatiques. Tous les autres ont cent fois éprouvé, sans s’y attarder pour autant, combien une vraie compréhension résulte d’une « fermentation organique de la pensée », comme dit Olivier Haralambon. Posture physique, rythmes horaires, respiration jouent dans la lecture un rôle obscur, décisif et méconnu, à côté d’une multitude de facteurs physiologiques et psychologiques. « La Règle, la Voie, c’est de lire avec son corps. »