En Argentine, les plaies toujours à vif des indigènes du Chaco

  • 2021-11-04 23:23:16
En juin 2020, les images de quatre jeunes membres de la minorité qom du nord du pays brutalisés par les forces de l’ordre avaient causé un tollé. L’affaire est emblématique des violences policières et des discriminations dont souffre cette catégorie défavorisée de la population. Leur visage tuméfié est apparu en « une » des sites d’information argentin début juin 2020, en plein confinement anti-coronavirus. « Arrêtez, s’il vous plaît, arrêtez (…). Elle est mineure ! », hurle la personne qui capte, le 31 mai 2020, la vidéo vite devenue virale. On y voit des policiers rouer de coups des jeunes de la communauté indigène qom, dans une rue de Fontana, une banlieue de Resistencia, capitale de la province argentine du Chaco (nord-est). Le passage à tabac se poursuit au commissariat du quartier. Pendant plusieurs heures, les coups et les insultes racistes s’abattent sur Cristian, Alejandro, Daiana et Rebeca. La scène, filmée aussi par les caméras du poste de police, choque toute l’Argentine. Roberto Valent, coordinateur de l’ONU en Argentine, et Jan Jarab, représentant en Amérique du Sud du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, réclament alors « avec urgence » une enquête. Le président Alberto Fernandez (centre gauche) condamne les violences et reconnaît « une dette de la démocratie » – formule consacrée en Argentine pour désigner tout ce que l’Etat doit encore à la population. « Il s’agit d’un cas de violence policière de plus, mais la particularité de cette affaire est qu’elle est filmée. La police savait qu’il y avait des caméras de surveillance et a tout de même agi de la sorte, cela illustre leur sentiment d’impunité », observe, un an et demi plus tard, Kevin Nielsen. Vice-président du Comité pour la prévention de la torture (organisme public et autonome), il accompagne les efforts de la famille pour obtenir justice et s’est constitué partie civile. Dans un rapport datant de 2016 intitulé « Harcelés, violence et (actions) arbitraires policières dans les quartiers populaires », le Centre d’études légales et sociales (CELS) rapportait déjà le harcèlement enduré par les jeunes indigènes qom dans la région de Resistencia. La crainte du contrôle arbitraire lors de leurs déplacements les assigne, de fait, à résidence dans leur quartier, remarquait le rapport, qui constatait « un fort degré de frustration parmi les habitants de cette communauté ». « Des citoyens de seconde catégorie » Selon le dernier recensement, datant de 2010, plus de 955 000 personnes se considèrent indigènes ou descendantes de ces populations en Argentine (pour une population de 45 millions d’habitants), recouvrant trente et un groupes au total, dont les Qom. Dans la province du Chaco, 4 % de la population est indigène. « Le mythe des origines de l’Argentine surévalue le composant européen. Les populations indigènes étaient préexistantes à l’arrivée des Européens et ont été traitées historiquement comme des citoyens de seconde catégorie, ce à quoi s’ajoute une pauvreté structurelle, note Pablo Wright, anthropologue au Conseil national de recherche scientifique et technique (Conicet). Les violences policières sont seulement un aspect de cette discrimination que l’agenda politique ne prend pas en compte. »

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