«Les raisons qui ont fait émerger Daech en Syrie sont toujours là»

  • 2019-02-19 23:23:19
Alors que la reprise de la ville de Baghouz aux mains des combattants de Daech est annoncée comme imminente, et que les pays occidentaux s’interrogent sur le retour prochain des jihadistes de Syrie, que signifie réellement cette bataille pour le pays ? Agnès Levallois, consultante, spécialiste du Moyen-Orient, chargée de cours à l’ENA et à Sciences-Po, invite à poursuivre l’analyse au-delà de cette victoire militaire. Qui va prendre le contrôle des zones reprises à Daech ces derniers jours, et quelle incidence aura cette victoire sur les relations entre les Forces démocratiques syriennes (FDS) et le régime de Bachar al-Assad?La bataille menée en ce moment à Baghouz est à l’initiative des Forces démocratiques syriennes, une alliance arabo-kurde au sein de laquelle les Kurdes sont majoritaires. Ce sont eux qui ont véritablement été en première ligne, et ils craignent, avec le retrait annoncé des troupes américaines, de se voir abandonnés par les Occidentaux. Ce qui va très certainement les conduire à se rapprocher de Bachar al-Assad, afin de négocier l’autonomie de leur peuple, leur objectif initial.   Face à cela, si le régime syrien se rend compte qu’il ne dispose pas des moyens d’entrer en conflit avec eux, il pourrait accepter certaines de leurs revendications. Mais les Turcs sont opposés à la moindre revendication indépendantiste de la part des Kurdes. Cette problématique va donc faire l’objet d’une négociation très serrée entre les Turcs, Bachar al-Assad mais aussi les Russes, qui gardent un œil sur la situation. Après la reprise de Baghouz par les FDS, la Syrie sera-t-elle réellement prémunie de la présence ou de l’action de groupes jihadistes sur son territoire ?Cette victoire militaire signifie la fin de la territorialisation de l’organisation, mais pas sa fin idéologique, car les raisons qui ont conduit les jihadistes à s’engager en Syrie sont toujours là: le régime de Bachar al-Assad est toujours en place. Il y a encore quelques poches de membres de Daech disséminées sur le territoire, mais dont le nombre est très délicat à estimer. Ceux qui sont encore en vie pourront tenter de se réorganiser sous une autre forme, de réactiver des cellules, de montrer qu’ils continuent à exister, pourquoi pas en tentant des attentats ponctuels. La province d’Idlib, au Nord de la Syrie, proche de la frontière turque, est également à surveiller. Décrétée zone de «désescalade» dans le cadre des accords d’Astana (Russie, Iran, Turquie), elle concentre aujourd’hui de nombreux jihadistes, comme ceux de Hayat Tahrir al-Sham. A travers cette bataille militaire contre Daech, est-ce la situation globale en Syrie qui se joue?Depuis l’intervention de la coalition internationale en Syrie pour lutter contre Daech, les Occidentaux, et la France en particulier, ne parlent de la Syrie qu’à travers le prisme de la lutte contre Daech, alors qu’à l’origine, le conflit a été déclenché par la volonté d’une partie du peuple de se libérer d’une dictature extrêmement raide. L’émergence de Daech, puis les attentats en Europe, ont fait changer la nature du conflit. Maintenant, on se dit que Daech n’est plus là, que c’est terminé. On oublie que toutes les raisons pour lesquelles le conflit a émergé sont encore là, et Bachar al-Assad en joue parfaitement bien. Aujourd’hui, quelle est la situation du régime de Bachar al-Assad ?Le régime de Bachar al-Assad peut donner l’impression d’avoir gagné, mais ce n’est pas le cas. En réalité, il ne dispose plus du contrôle sur son propre territoire. Seul, il ne peut rien faire. Si la Syrie a retrouvé une certaine forme de souveraineté, c’est grâce à l’appui des Russes et des Iraniens. En effet, son armée est épuisée et peine à recruter. Si ses alliés Russes et Iraniens devaient partir, l’armée de Bachar al-Assad serait uniquement en mesure de contrôler Damas. Aussi, le président syrien essaye tant bien que mal de montrer qu’il est encore aux manettes. Mais comment est-ce possible alors qu’il n’y a pas l’amorce d’une solution politique à ce conflit qui agite la Syrie depuis maintenant huit ans ? Peut-on reprendre la vie comme si de rien n’était, sachant qu’il y a eu au minimum 500 000 morts, des centaines de milliers de prisonniers qu’on ne reverra sûrement jamais, et la moitié de la population qui n’habite plus en Syrie ? Si Bachar al-Assad aspire à donner l’illusion de normaliser la situation, il faut se demander: pour quoi faire, sur quelle base et avec qui? AFP.

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