Etats-Unis : « Le projet de la Cour suprême sur l’avortement risque de remettre en cause d’autres avancées du mouvement pour les droits civiques »

  • 2022-05-10 14:45:05
Le projet de décision rédigé par le juge Samuel Alito repose sur une conception « originaliste » de la Constitution, qui traduit une vision raciste, sexiste et xénophobe de la société américaine, explique l’historienne Esther Cyna. La majorité conservatrice de la Cour suprême des Etats-Unis s’apprête à revenir sur la protection fédérale du droit à l’avortement, mettant en danger des millions de personnes qui risquent de se retrouver forcées à mener une grossesse non désirée, voire dangereuse, jusqu’au terme. Rédigé par le juge Samuel Alito, ce projet, qui aurait des conséquences dévastatrices, repose sur un raisonnement fallacieux qui mesure la légitimité d’un droit selon son ancienneté dans l’histoire du pays. L’interprétation de l’histoire des Etats-Unis est au cœur de l’argumentaire du juge Alito, nommé par George W. Bush en 2005. Le projet de décision suggère, entre les lignes, qu’il serait possible d’établir des degrés de légitimité pour les droits en les datant dans l’histoire. « Ce droit était complètement étranger à la loi américaine avant les dernières décennies du XXe siècle », écrit le juge Alito au sujet de l’avortement pour en attaquer le bien-fondé. Pour déterminer l’existence d’un droit constitutionnel à la lumière du 14e amendement, les juges de la Cour suprême peuvent soumettre ce droit à plusieurs examens. En 1973, l’arrêt Roe v. Wade a établi que le droit à l’avortement relevait du droit à la vie privée énoncé dans le 14e amendement. Pour M. Alito, il s’agirait cependant de soumettre ce droit à un examen dit « substantiel », pour lequel il faut juger de l’ancrage du droit en question dans la tradition américaine ainsi que de son intérêt fondamental en matière de liberté. Dans le cadre de cette procédure, un droit est considéré comme protégé par la Constitution lorsqu’il est « profondément ancré dans l’histoire et la tradition de cette nation », et le juge Alito déclare que « le droit à l’avortement n’appartient pas à cette catégorie ». Or ce qu’il y a sans doute de plus ancré dans « l’histoire et la tradition » américaines, ce sont bien les inégalités qui structurent cette société. Ce pays, bâti sur le système de l’esclavage, a pour la grande majorité de son histoire uniquement conféré des droits et des privilèges aux hommes blancs propriétaires fonciers. Idéologie conservatriceBien que M. Alito ait pris soin de préciser que sa décision ne concernait que le droit à l’avortement, ce raisonnement en lui-même risque de remettre en cause d’autres grandes avancées du mouvement pour les droits civiques, qui ont largement reposé, dans leur pan juridique, sur l’interprétation du 14e amendement. La ségrégation raciale légale et explicite n’est abolie qu’en 1954 par l’arrêt Brown v. Board of Education, qui condamne l’existence d’écoles publiques ségréguées. C’est en 1967, dans l’arrêt Loving v. Virginia, que la Cour suprême déclare l’interdiction des mariages interraciaux, telle qu’elle existe alors encore en Virginie, anticonstitutionnelle.

متعلقات