Guantanamo: 17 ans après sa création, peut-on encore espérer sa fermeture ?
2019-01-11 22:43:56
Ce vendredi après-midi, à Bruxelles, un rassemblement fera écho à la manifestation de Washington pour exiger la fermeture de Guantanamo, 17 ans après sa création. Alors que Donald Trump a finalement décidé de garder la prison ouverte, rompant ainsi totalement avec la volonté de son prédécesseur Obama de la fermer, quel avenir peuvent véritablement espérer les détenus?
Guantanamo, kézako?Il y a 17 ans, le 11 janvier 2002, une base militaire américaine située à Cuba fut transformée en centre de détention: la tristement célèbre et très controversée prison de Guantanamo. Au total, près de 779 hommes en provenance d'une quarantaine de pays différents y ont été enfermés. À l'époque, les détenus étaient présentés comme de dangereux terroristes suspectés d'appartenir à Al-Qaida ou aux Talibans. L'administration américaine venait tout juste d'entamer sa "guerre contre la terreur" ("Global War on Terror"), en réplique aux attentats du 11 septembre 2001, et affirmait que ces hommes étaient susceptibles de détenir des informations capitales pour la sécurité du pays.
De nombreux captifs furent arrêtés, tandis que d'autres furent achetés à un prix de 5.000 dollars par tête ou encore kidnappés à l'arrivée des troupes américaines en Afghanistan. Vêtus de combinaisons orange, enchaînés, mis en cage et entourés de soldats, ces hommes devinrent la démonstration de force de l'Occident. Le fait de les enfermer en dehors du territoire des États-Unis envoya un signal fort au monde entier: ce lieu de détention échapperait à tout cadre juridique.
Qu'est-ce qu'il s'y passe?
En décembre 2014, le Sénat américain a dévoilé un rapport terrifiant sur les pratiques de détention et d'interrogation de la CIA à Guantanamo. Ce dossier de 525 pages qui contient des centaines de documents déclassifiés, a ainsi révélé que de terribles techniques de torture ont été utilisées sur les détenus. Certains ont été privés de sommeil jusqu'à 180 heures, battus, soumis à des simulations de noyade ("waterboarding") ou encore enfermés dans des boîtes en forme de cercueil.
Des détenus de la CIA ont été soumis à une "réhydratation" ou à une alimentation rectale sans nécessité médicale. Le plateau repas du Pakistanais Mahjid Khan, incarcéré en 2006, composé de houmous, de pâtes en sauce, de noix et de raisins fut un jour "réduit à l'état de purée" et introduit par voie rectale.
Toujours selon le rapport, les officiers de la CIA ont également menacé au des détenus de maltraiter leurs enfants, d'abuser sexuel de la mère de l'un d'entre eux ou encore de lui "couper la gorge".
Si par la suite, les sévices corporels furent abandonnés au profit de pressions psychologiques, l'image des États-Unis en matière de droit humain fut définitivement ternie par la prison de Guantanamo. "Et tant qu'elle restera ouverte, des violations de ces droits continueront d'être commises", a déclaré Amnesty International États-Unis.
Pourquoi est-il si difficile de fermer la prison? "[Guantanamo] n'est plus une exception, elle fait aujourd'hui partie de notre culture. On s'est habitué à avoir ce genre de prison sans droit, dans lesquelles on peut être enfermé sans accusation précise, sans procès, et de manière illimitée".Luk Vervaet, organisateur du rassemblement pour la fermeture de Guantanamo
"Barack Obama s'était engagé à fermer la prison de Guantanamo lors de son investiture en janvier 2009. Le Congrès, dominé par les Républicains, s'est toujours opposé frontalement à tous les projets visant à transférer les détenus vers des prisons de haute sécurité sur le sol américain. Mais même les démocrates étaient divisés", explique Simon Petermann, docteur en sciences politiques et diplomatiques et auteur du livre "Guantanamo. Les dérives de la guerre contre le terrorisme".
L'ancien président, qui avait "hérité" de 242 détenus à son arrivée au pouvoir, a finalement dû se contenter de tenter de vider la prison au compte-gouttes avec des transferts vers des pays alliés de quelques dizaines d'individus jugés libérables.
Selon Luk Vervaet, l'organisateur du rassemblement pour la fermeture de Guantanamo en Belgique, le fait que l'opinion publique ne s'offusque pas davantage des pratiques en vigueur au sein de la prison pourrait également expliquer pourquoi elle n'est toujours pas fermée.
"L'un des grands problèmes de Guantanamo, c'est l'indifférence par rapport à ce qu'on a d'abord appelé une 'exception américaine'. Mais selon moi, ce n'est plus une exception, ça fait aujourd'hui partie de notre culture. On s'est habitué à avoir ce genre de prison sans droit, dans lesquelles on peut être enfermé sans accusation précise, sans procès, et de manière illimitée. Je trouve cela très grave. C'est une sorte d'indifférence et de routinisation de ce qui était auparavant l'exception. On vit avec et il y a encore très peu de gens qui s'en soucient. On ne voit pas de grandes vagues de protestation".
"Deuxièmement, tant que la 'guerre contre la terreur' se poursuivra, je pense que l'on continuera à voir de telles situations au niveau des pratiques carcérales", ajoute-t-il.
AFP.