En Espagne, les riverains protestent contre les « cuisines fantômes »
2021-07-17 17:05:29
Les ateliers pour restaurants virtuels, fondés sur la livraison de repas à domicile, sont à la fois un juteux business pour les investisseurs immobiliers et un cauchemar pour les voisins.
Quatre grosses cheminées sont apparues, en avril, sur le toit d’un local industriel abandonné depuis vingt ans, adjacent au collège public Miguel-de-Unamuno de Madrid. Les parents d’élèves s’en sont rendu compte au retour des vacances de Pâques, avec stupeur, et ont vu rapidement leurs craintes se confirmer : un nouvel édifice de dark kitchens – ces « cuisines fantômes » pour restaurants virtuels, fondés sur la livraison de repas à domicile, qui connaissent un boom à la faveur de la pandémie – va ouvrir ses portes dans la capitale espagnole, cette fois à deux pas du centre culturel du Matadero.
Pour ces familles, il ne fait guère de doute que leur rue paisible, à sens unique, en plein cœur du quartier populaire et résidentiel d’Arganzuela, risque de devenir un cauchemar. « Les cheminées sont juste devant la cour des maternelles, souligne une maman, Julie Delabarre, 37 ans, traductrice de français. Les fumées d’huile, les odeurs, la circulation des riders [livreurs en deux-roues], le bruit… Tout cela va à l’encontre des efforts pour protéger les environnements scolaires et améliorer la vie dans les villes. »
Des plaintes déposées
Si d’ordinaire les cuisines fantômes occupent plutôt les locaux d’anciens restaurants, l’Espagne voit se multiplier, ces derniers mois, des édifices rassemblant des dizaines de cuisines dans un même lieu, rendant les nuisances insoutenables. « Nous avons eu jusqu’à 80 motos en même temps dans notre rue, très étroite, avec le bruit que cela suppose, sans parler des camions de livraison, des cris, de la musique, des odeurs, de la fumée, de la pollution, des trottoirs impraticables, des incendies, des affrontements entre riders », énumère Merche Fraguio, responsable marketing de 54 ans qui vit dans un rez-de-chaussée de la rue José-Calvo, dans le quartier populaire de Tetuan, à Madrid.
Ici, en mai 2020, à la fin du premier confinement, une vingtaine de cuisines fantômes rassemblées dans un ancien entrepôt de 800 m2 sont entrées en fonctionnement. Situées en plein milieu d’une cour d’immeuble jusque-là tranquille, elles appartiennent à la multinationale Cooklane – une succursale européenne de Cloudkitchens, créée par le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, selon le site d’information El Confidencial. Vendant leurs repas sur les plates-formes de riders, Deliveroo, Uber Eats, Just Eat ou Glovo, elles donnent lieu à la venue de centaines de livreurs en scooter chaque jour de la semaine, y compris le week-end.