Afghanistan 1996, l’an 1 de la terreur talibane

  • 2021-08-23 04:09:21
Notre ancien correspondant en Asie du Sud, Bruno Philip, s’est plongé dans ses souvenirs de reportages à Kaboul, Herat et Kandahar, lors des premiers temps du règne des « étudiants en religion », à la fin du XXe siècle. En octobre 1996, peu après l’entrée des talibans dans Kaboul, le correspondant du Monde en Asie du Sud s’était rendu en Afghanistan pour raconter la chute du régime des moudjahidine. Vingt-cinq ans plus tard, alors que les talibans sont de nouveau au pouvoir, il se souvient de craintes et de soulagement après des années de guerre. Kaboul, 6 octobre 1996 Les premiers signes d’une « théocratie de la terreur » Il y a tout juste dix jours, ceux que l’on appelle encore les « étudiants en religion » sont entrés dans la capitale afghane. Kaboul est tombée le 27 septembre, sans coup férir − comme cela sera le cas vingt-cinq ans plus tard. Ahmed Chah Massoud, condottiere du régime des moudjahidine et figure romantique de la résistance à l’occupant soviétique, l’homme au béret toujours élégamment incliné sur le crâne, avait déguerpi la veille, abandonnant la ville aux mains des talibans. En cette journée d’automne aux nuits déjà un peu frisquettes, Kaboul est encore perplexe et les avis sont partagés : certains habitants se disent soulagés que l’arrivée de ces paysans mal dégrossis, venus des campagnes pour remettre au pas une capitale « décadente », ait mis fin à la guerre fratricide que se livraient, depuis quatre ans, d’anciens combattants du djihad antisoviétique et les talibans, ces « séminaristes » éduqués dans des écoles coraniques du Pakistan. D’autres, surtout les femmes et les anciens communistes adoubés par le régime déchu, lui-même islamiste et propulsé au pouvoir en 1992 après la chute du dernier gouvernement prosoviétique, affichent des mines de déterrés : ils redoutent que les premiers signes déjà visibles d’une « théocratie de la terreur » – que certains qualifient de « moyenâgeuse » − ne soient désormais l’éternel horizon de leur avenir. Un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, brave homme au français châtié que je fréquente depuis des années, traîne ses espadrilles dans les couloirs du ministère, hagard. « On vient de faire un recul en arrière de cinq siècles », grince-t-il. Prudent, il a brûlé toutes les photos d’un passé compromettant au service de plusieurs régimes, dont ceux des communistes (1978-1992) : outre le français, il maîtrise le bulgare et le russe, fruit de ses études en Bulgarie et en Ouzbékistan, au temps encore pas si lointain de l’URSS… Dans son minuscule appartement du quartier de Microrayon (du russe « microquartier »), ensemble de barres HLM construit naguère pour l’ancienne nomenklatura prosoviétique, Maryam, institutrice, ne décolère pas : « Empêcher les femmes d’aller étudier et travailler, ce n’est pas dans le Coran, ce n’est pas une loi islamique ! », fulmine cette femme d’une cinquantaine d’années. « Bien sûr, concède-t-elle, les roquettes ont cessé de s’abattre sur la ville, mais ne se prépare-t-on pas désormais à une autre sorte de mort ? » A ses côtés, l’aînée de ses trois filles s’esclaffe parce qu’elle trouve que sa mère y va un peu fort : « La paix, c’est tout de même mieux que la guerre », observe l’adolescente.

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