Au procès de l’attentat contre « Charlie Hebdo », les mots des survivants et le poids des morts

  • 2020-09-10 18:40:36
Mardi, Corinne Rey, Sigolène Vinson et plusieurs autres rescapés de la tuerie de 2015 ont témoigné avec force, douleur, tendresse, détresse et même humour, devant la cour d’assises spéciale de Paris. Seuls comptent leurs mots. Le miracle de ces mots prononcés par des femmes et des hommes debout, là, parmi nous, au milieu du prétoire de la cour d’assises spéciale de Paris, mardi 8 septembre. Des survivants, des revenants, avec leurs mots qui disent l’horreur en sujet, verbe, complément. Avec force, douleur, tendresse, détresse et même drôlerie. Oui, aussi la drôlerie. Avec leur souffle qui cogne si fort dans le micro quand les mots jaillissent, et leurs silences suspendus quand ils ne viennent plus. Pour chacun d’eux, Corinne Rey, Angélique Le Corre, Sigolène Vinson, Laurent Léger, Cécile Thomas, Gérard Gaillard, s’ajoute la culpabilité du survivant. La seconde où l’un s’est jeté sous une table, où un autre s’est laissé glisser, un troisième a reculé, un quatrième a eu peur plus tôt et a eu le temps de disparaître, un cinquième n’a pas été repéré, un sixième a été épargné. Le hasard qui a fait que, ce jour-là, Cécile Thomas a changé de place pendant la conférence de rédaction parce que sa chaise, au deuxième rang, juste derrière Elsa Cayat, était coincée contre le mur et qu’elle est allée s’installer un peu plus loin, à l’extrémité de la salle de rédaction de Charlie Hebdo. La volonté des deux terroristes qui ont écarté Angélique Le Corre – « Toi, tu restes là » – quand ils ont remonté l’escalier en prenant Corinne Rey en otage. L’échange de regards entre Chérif Kouachi et Sigolène Vinson, qui a fait baisser son arme au terroriste et lui a fait dire « On ne tue pas les femmes », alors qu’il venait de tirer sur Elsa Cayat assise autour de la table avec les autres. Le réflexe de Laurent Léger qui s’est recroquevillé sous un bureau. En les appelant tour à tour à la barre, le président Régis de Jorna avait dit maladroitement : « Nous entendons aujourd’hui les témoins qui n’ont pas été blessés dans l’attentat du 7 janvier. Nous entendrons demain les blessés. » « Victimes sans blessure apparente », selon les mots de Cécile Thomas, ils sont survivants, mais remplis de morts. Sur son bras gauche, Sigolène Vinson s’est fait tatouer la baleine de Moby Dick, entourée de barques. « Et dans les barques, il y a douze personnes. Frédéric Boisseau [le technicien de maintenance qui est le premier tué au 10, rue Nicolas-Appert] et Ahmed Merabet [le policier abattu dans la rue après la fusillade à Charlie Hebdo] y sont. En faisant ça, je me suis dit que c’était une cicatrice qui allait quitter ma tête pour aller dans mon avant-bras. Ce tatouage me constitue autant que la couleur de mes yeux, la carnation de ma peau. Il fait partie de moi », dit-elle.

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