Sexisme, harcèlement, agressions sexuelles en cuisine : cinq cheffes brisent l’omerta
2020-11-15 20:31:35
A leurs débuts, elles ont plongé dans un quotidien de blagues salaces, de remarques sexistes, de gestes déplacés, et parfois d’agressions. Marion, Anissa, Margot, Laëtitia et Anna espèrent que leurs témoignages éviteront aux futures cuisinières de dire un jour #metoo.
Couilles d’âne, roupettes d’agneau aux cèpes et grenailles, couilles du pape en confiture, précieuses au beurre… Laëtitia Visse vient de publier son premier recueil de recettes : Les Couilles. Dix façons de les préparer, aux éditions de l’Epure. Elle balance l’ouvrage sur la table avec un grand sourire car elle sait que le titre va faire son petit effet. En août, après dix ans de carrière dans des cuisines parisiennes, elle a ouvert son restaurant, La Femme du boucher, rien qu’à elle, à Marseille.
La cheffe Laëtitia Visse, 30 ans, à La Femme du boucher, le restaurant qu’elle a ouvert il y a quelques semaines, à Marseille, le 25 octobre.La cheffe Laëtitia Visse, 30 ans, à La Femme du boucher, le restaurant qu’elle a ouvert il y a quelques semaines, à Marseille, le 25 octobre. BETTINA PITTALUGA POUR M LE MAGAZINE DU MONDEC’est à dix minutes du Vieux-Port, dans une petite rue derrière la préfecture, une ancienne institution locale qu’elle a rachetée et remise au goût du jour. Auparavant, ça s’appelait La Boucherie, et le boucher, qui avait de la place dans son arrière-salle, avait installé des tables et des chaises. Le lieu était devenu aussi un restaurant. Chez Laëtitia Visse, on mange très, très bien, même si le menu de ce 7 octobre ne propose aucun attribut mâle mitonné. Ce recueil de recettes de couilles, c’est évidemment « un pied de nez » pour Laëtitia Visse. Un pied de nez salutaire, pour se persuader qu’elle est définitivement sortie du « système », comme elle l’appelle. Le « système » des grands restaurants tenus par des grands chefs où elle a toujours voulu exercer, des étoiles Michelin plein les yeux.
Au tout début, cette Parisienne, fille de chanteurs lyriques, voulait passer sa vie à cuisiner. Gamine, elle ne savait même pas que cuisinière pouvait être un métier. Après, elle a passé trois ans dans une prestigieuse école d’hôtellerie, l’école Ferrandi à Paris, à écumer les stages dans des restaurants, étoilés ou non.
« Il m’attrape par le col, il s’approche à deux centimètres de mon visage, il me regarde dans les yeux et il me dit : “T’es mon apprentie, je fais ce que je veux”. J’avais 17 ans. » Laëtitia Visse
Très vite, elle s’est aperçue que les exigences de la haute gastronomie pouvaient autoriser des abus, des dérives, du harcèlement, des agressions sexuelles, sans que cela ne dérange grand monde au sein du fameux « système ». Elle a violemment pris conscience de cette réalité lors de sa première année d’école : « J’ai tout de suite entendu des “tu suces, toi ?” ; “t’as un joli petit cul, on doit être bien dedans” ; “qu’est-ce qu’il y a, salope ?” ; “tu vas encore chialer ?” Voilà. C’est de l’humour. Mais quand c’est répété toute la journée… »
Laëtitia Visse effectue un de ses premiers stages dans un restaurant gastronomique parisien non étoilé. C’est son deuxième jour et le sous-chef lui demande de la suivre dans la chambre froide du sous-sol. Elle ne se souvient plus très bien de ce qu’ils devaient aller chercher : « Cette scène m’a un peu fichu le cerveau en l’air et ma mémoire a zappé beaucoup de détails de ce moment-là. » Quoi qu’il en soit, le sous-chef la colle contre le mur. « Il m’attrape par le col, il s’approche à deux centimètres de mon visage, il me regarde dans les yeux et il me dit : “T’es mon apprentie, je fais ce que je veux.” J’avais 17 ans. J’ai couché avec lui pour être tranquille. »