Procès des attentats de janvier 2015 : « “Charlie” est devenu une idée. On ne la tuera plus »
2020-12-07 18:24:11
Richard Malka, avocat de « Charlie Hebdo », a clos les plaidoiries de parties civiles par un puissant hommage à la liberté d’expression, dont « Le Monde » publie de larges extraits.
Lundi 2 novembre, Richard Malka devait se lever pour plaider au nom de Charlie Hebdo, le journal qu’il défend depuis sa création, en 1992. Les parties civiles avaient déterminé entre elles un ordre simple pour leur prise de parole. Elle suivrait la tragique chronologie de ces journées de janvier 2015 qui ont fait dix-sept victimes et plusieurs blessés graves. L’attentat commis rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement de Paris, au siège de Charlie Hebdo, la fusillade du boulevard Richard-Lenoir, et la tentative d’assassinat à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), le 7. La fusillade à Montrouge (Hauts-de-Seine) le 8. La prise d’otages dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), suivie quelques heures plus tard, de celle, meurtrière, à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes (Paris 20e), le 9.
Le fracas des trois premières semaines du procès consacrées aux dépositions des survivants et des témoins, auquel avaient succédé les explications tour à tour laborieuses, agacées, éruptives, souvent décevantes, des onze accusés interrogés, étaient alors dans la mémoire vive. Chacun de ces avocats allait enfin pouvoir porter par sa parole, le chagrin, les questions, la colère et la souffrance qui leur avaient été confiés. Mais juste au moment de son envol, cette parole a été suspendue. L’état de santé de l’un des accusés, Ali Riza Polat, a interrompu le procès, d’abord deux jours, puis une semaine, puis deux, puis trois.
Chaque fois, les avocats se tenaient prêts. Chaque nouvelle annonce de suspension les laissait plus désemparés. Comment allaient-ils faire pour retrouver les mots et la fougue pour les prononcer ? Quel sens ces mots auraient-ils encore après une si longue interruption ?
Quand l’audience a enfin repris, mercredi 2 décembre, ils n’étaient pas les seuls à douter. L’atmosphère si singulière de la cour d’assises s’était dissipée. L’attention aussi. Le public, confiné, avait déserté. Ce partenaire essentiel à l’orateur – « celui qui écoute participe à la parole », disait l’avocat Thierry Lévy – manquait.
Et pourtant les voix se sont élevées. Pour celles et ceux tués parce que juifs, parce que policiers, parce que dessinateurs. Pour les parents, les enfants, les compagnes, les compagnons, les maris, les épouses des disparus. Pour les blessés avec ou sans blessures apparentes. Pour tous ceux que ces avocats soutiennent depuis des années et qu’ils n’avaient pas le droit de décevoir et de lâcher.