En Corse, le berger, l’incroyable cache d’armes et l’enquête qui fait pschitt
2022-02-07 04:22:35
En octobre 2021, la découverte d’un arsenal et de plus de 20 000 munitions a lancé la police sur la piste d’un vaste trafic d’armes. Mais les investigations n’ont rien révélé d’autre que la passion dévorante d’un étrange collectionneur.
Lorsqu’ils investissent un terrain agricole de Vallecalle, un petit village de Haute-Corse, ce 19 octobre 2021, les enquêteurs du service de police judiciaire de Bastia en sont convaincus : ils viennent de démanteler le plus important réseau de trafic d’armes dans l’île depuis des années. Ils ont d’ailleurs demandé du renfort.
Roxy et Luca, les chiens renifleurs d’armes et de billets, sont de la partie, comme les fonctionnaires de l’identité judiciaire, une équipe de démineurs et même des gendarmes équipés de leur géoradar, un appareil sophistiqué qui permet de sonder n’importe quelle cavité. Deux ouvriers d’une société locale, spécialisés dans le maniement de pelleteuses, ont également été réquisitionnés : la lettre anonyme reçue par la justice quelques semaines plus tôt ne mentionnait-elle pas, plan à l’appui, « un conteneur enterré » ?
Une fouille sommaire du terrain révèle, près d’une caravane, un antique fusil de chasse, une poignée de cartouches et un gilet pare-balles dissimulé dans un vieux sac-poubelle. Dans le fameux conteneur, à demi recouvert de terre, les policiers découvrent un tour à commande numérique qui permet d’usiner des pièces métalliques, une fraiseuse et un coffre-fort à fusils.
« Kyrielle de munitions »
Lorsqu’ils déplacent la lourde armoire métallique pour en forcer la serrure, ils sont stupéfaits : une ouverture permet d’accéder à un second conteneur, totalement enterré celui-là. A l’intérieur, un véritable arsenal, des lunettes de visée, des silencieux, vingt-cinq armes de poing, dix-huit armes d’épaule dont plusieurs fusils d’assaut, deux pistolets-mitrailleurs, un bouclier d’intervention et un casque balistique semblables à ceux utilisés par les forces d’intervention, une paire de menottes, une fausse carte d’identité, un nouveau gilet pare-balles, deux grenades, dix-neuf détonateurs, un rouleau de mèche, une dizaine de bidons de poudre noire et, note un interminable procès-verbal, « une kyrielle de munitions » – soit 20 000 cartouches en tout, après inventaire. La perquisition, entamée à 7 h 20, se termine dix heures plus tard, en fin d’après-midi.
Le propriétaire des lieux, Yann Jacquemin, a assisté à toutes les opérations. Trente-cinq ans, mâchoire carrée et crâne rasé, l’homme, jusque-là connu des services de police pour un larcin et un refus d’obtempérer, est mis en examen pour « importation, acquisition et détention illégales d’armes et de munitions ».
Si les enquêteurs sont certains d’avoir démantelé un trafic d’armes à grande échelle, c’est parce que leur « client » n’en est pas à son coup d’essai. Quelques mois auparavant, Yann Jacquemin a été impliqué dans une affaire aux ramifications internationales : l’envoi de colis postaux renfermant des pièces détachées d’armes à feu depuis les Etats-Unis. Fin novembre 2020, les douaniers parisiens ont intercepté deux de ces colis avant que les policiers du 3e district de police judiciaire ne mettent au jour un petit réseau au fonctionnement bien huilé : acquises légalement en Californie, les pièces détachées étaient récupérées en région parisienne avant d’être adressées en Corse à Yann Jacquemin, qui n’avait plus qu’à les assembler pour fabriquer des armes aptes au tir.