« Le Covid, c’est l’horreur, mais il ne faut pas tout lui foutre sur le dos » : à l’Ehpad La Rosemontoise, la gestion désastreuse du coronavirus

  • 2020-04-10 15:00:30
L’établissement du Territoire de Belfort est le premier de France mis sous administration provisoire depuis le début de l’épidémie. Dix-sept résidents y sont morts en dix jours. C’est un tableur Excel de quatre colonnes. Y sont répertoriés le numéro de la chambre, l’état civil du résident, ainsi que son besoin d’aide alimentaire. Les 115 noms des pensionnaires de La Rosemontoise, une maison de retraite située à Valdoie (Territoire de Belfort) se serrent, imprimés sur une feuille A4, entrecoupés de l’appellation poétique de leur bâtiment d’habitation, les Buis, les Chênes, Littoral ou Oasis. Dix-huit lignes sont colorées en vert, pour dix-huit personnes âgées isolées dans leur chambre, que les soignants ne peuvent visiter qu’équipés de masque et de gants – ils sont suspectés « Covid-19 ». Vingt-deux noms sont eux barrés de rouge, ils sont confirmés « Covid-19 ». Ils n’ont pas plus été testés que les suspects, mais leurs symptômes semblent perdurer, c’est donc tenue d’astronaute pour quiconque va les voir. Dans la case « aide alimentaire », il y a aussi parfois trois lettres : DCD, et une date. Au matin du 3 avril, à la date du document que Le Monde a pu consulter, treize personnes étaient mortes dans cet établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) aux murs blancs, « au parc arboré et à la belle végétation invitant à la promenade » vantés sur son site Internet. Depuis, le bilan s’établit à dix-sept victimes du Covid-19. Ce tableau qui passe de plus en plus du vert au rouge, puis à « DCD », a déclenché une prise de parole assez rare pour un maire de commune. Bien sûr, Corinne Coudereau, l’édile (Union des démocrates et indépendants) sortante et battue de Valdoie, a l’habitude des réseaux sociaux – elle est chargée de communication de profession. Mais ce samedi 4 avril, après avoir encore appris de nouveaux décès, elle prend son portable et se filme dans sa cuisine. « Je vois évoluer ces tableaux à chaque transmission, avec toujours plus de lignes rouges et les décès qui se succèdent les uns après les autres. Comment peut-on les laisser mourir seuls dans leur chambre sans même essayer de sauver de pauvres personnes vulnérables ? », s’exclame-t-elle. Mille huit cents partages et 270 commentaires de sa vidéo plus tard, Corinne Coudereau parle de « coup de gueule pour briser l’omerta des Ehpad », touchée d’avoir dû signer autant de fermetures de cercueil, elle qui n’en signait en général qu’une à deux par mois. « Ils nous ont envoyés à la mort » Au téléphone, Michelle a d’abord demandé que son prénom soit modifié, par peur de la direction de La Rosemontoise. L’aide-soignante depuis trente ans bafouille un peu, s’en excuse, et saisit finalement un papier, sur lequel elle a noté tout ce qu’elle voulait dire. Elle ne fait pas de phrases, mais lit une liste : « Manque de personnel, pas de temps pour les toilettes, pas de temps pour discuter, souffrir, surmenage, burn-out, démission, hécatombe, je ne trouve plus mes mots, pardon. » Michelle a du mal à parler. Le 18 mars, après avoir fait la toilette d’une « dame qui allait très mal » quelques jours auparavant, elle rentre chez elle, présente des symptômes du Covid-19, puis est testée positive et arrêtée.

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