Tunisie : le président Essebsi, symbole des ambivalences de la révolution, est mort

  • 2019-07-26 03:09:11
Plusieurs fois ministre après l’indépendance, en 1956, il avait accédé à la présidence en 2014. Il avait 92 ans. Il sera revenu assez étrangement à ce patricien d’incarner la révolution. Là était le paradoxe foncier de Béji Caïd Essebsi, à la fois garant de la stabilité de la « transition tunisienne » et limite à son approfondissement, un pied dans l’ancien régime et l’autre au cœur du printemps 2011. La mort du président tunisien à l’âge de 92 ans, annoncée jeudi 25 juillet par un communiqué de la présidence, laisse la Tunisie orpheline d’une figure tutélaire résumant ses propres ambivalences, ce « gris » d’un chantier hybride qui ne prend des couleurs qu’au regard du chaos ou de l’immobilisme de ses voisins. Béji Caïd Essebsi avait été hospitalisé mercredi pour un problème de santé consécutif au sérieux malaise qu’il avait eu le mois dernier. Premier chef d’Etat issu d’un scrutin présidentiel libre en 2014, cet héritier de Habib Bourguiba – le « père de l’indépendance » – s’était assigné la mission de réhabiliter le « prestige de l’Etat », menacé à ses yeux par les « surenchères » de la révolution. Le « moderniste » qu’il était n’aura toutefois pu accéder à la magistrature suprême qu’en scellant un pacte avec les islamistes du parti Ennahda, ses farouches adversaires de la veille, plaçant la tactique au-dessus de l’idéologie. Et surtout il aura rétabli en son palais de Carthage une ambiance de sérail dynastique – en cautionnant les ambitions de son fils – qui cadrait mal, là aussi, avec sa rhétorique sur l’Etat « à restaurer ». Contradictoire, Béji Caïd Essebsi l’était assurément, à l’image de bien de ses compatriotes. Né le 29 novembre 1926 à Sidi Bou Saïd, village balnéaire au nord de Tunis, Béji Caïd Essebsi est issu d’une famille de la bourgeoisie tunisoise qui comptait parmi ses aïeux un mamelouk d’origine sarde. Elève du collège Sadiki, à Tunis, pépinière de l’élite tunisienne émergente, il s’ouvre à la fin des années 1930 aux idées du courant nationaliste qui s’active autour de Habib Bourguiba. Son bac en poche, il part étudier en 1950 le droit à Paris, où il confirme son engagement militant dans les réseaux du Néo-Destour, le parti de Bourguiba dont il devient un fidèle. Traversée du désertDevenu avocat à son retour à Tunis, il est naturellement aspiré au lendemain de l’indépendance, en 1956, dans les sphères du nouveau pouvoir. Il commence par occuper des fonctions sécuritaires qui lui vaudront par la suite d’être accusé d’avoir partie liée aux pratiques répressives du nouvel Etat. Début 1963, il est ainsi nommé directeur de la sûreté nationale au ministère de l’intérieur dans la foulée de la découverte d’un complot contre Bourguiba. Il est ensuite promu ministre de l’intérieur (1965-1969), en pleine période de répression du mouvement étudiant, puis ministre de la défense (1969-1970). Les années 1970 verront toutefois sa relation se distendre avec Bourguiba, qui impose à la Tunise sa férule autocratique. Après son passage à Paris comme ambassadeur (1970-1971), Béji Caïd Essebsi défend des positions en faveur d’une démocratisation au sein du parti au pouvoir, le Parti socialiste destourien (PSD), qui lui valent d’être mis sur la touche. La traversée du désert durera une décennie jusqu’à son retour au sein du gouvernement au portefeuille de ministre des affaires étrangères (1981-1986). A ce poste, il doit notamment gérer les remous diplomatiques autour de l’accueil des combattants palestiniens de l’Organisation de libération de la Palestine, chassés de Beyrouth en 1982, et surtout du raid aérien israélien en 1985 contre le siège de l’organisation de Yasser Arafat à Hammam Chott, au sud de Tunis (opération « Jambe de bois »), qui coûta la vie à cinquante Palestiniens et dix-huit Tunisiens. Gérer la transitionAu lendemain du « coup d’Etat médical », en 1987, de Zine El-Abidine Ben Ali contre un Bourguiba miné par la vieillesse et la maladie, Béji Caïd Essebsi joue le jeu du nouveau pouvoir. Il est président de l’Assemblée nationale de 1989 à 1991, un poste qui fait de lui un cacique du régime. Il prendra néanmoins ensuite ses distances avec un pouvoir dont l’obsession à gommer la mémoire de Bourguiba ne lui sied pas, lui le bourguibien de la première heure. Il s’écarte, sans pour autant rallier l’opposition. Cette prise de distance permettra de sauver ultérieurement son image. Au lendemain de la chute, le 14 janvier 2011, de Ben Ali, forcé à l’exil par le soulèvement démocratique parti de Sidi Bouzid quatre semaines plus tôt, Béji Caïd Essebsi apparaît comme une personnalité acceptable pour gérer la transition. De février à décembre 2011, il est le premier ministre d’un gouvernement provisoire chargé de préparer l’élection d’une Assemblée constituante censée sceller la nouvelle ère post-révolutionnaire.

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