A Khabarovsk, « on a goûté à la démocratie, maintenant on défend nos droits »

  • 2020-07-20 17:02:47
Plusieurs milliers de personnes ont manifesté dans l’Extrême-Orient russe pour défendre leur gouverneur, Sergueï Fougal, accusé de meurtre, mais surtout pour montrer leur désaccord et leur colère contre Moscou. Une fois de plus, à l’heure où le reste de la Russie dormait, décalage horaire oblige, les habitants de Khabarovsk sont « sortis nourrir les pigeons ». Par ce nom de code imaginé par fantaisie autant que pour éviter d’éventuelles poursuites, les habitants de cette ville de l’Extrême-Orient russe désignent les manifestations quotidiennes en soutien à leur gouverneur, Sergueï Fourgal, arrêté pour des accusations de meurtres. A vrai dire, la trouvaille correspond bien à ce mouvement spontané, organisé uniquement par des groupes locaux sur les réseaux sociaux. Très répandus dans les villes russes, on y parle d’ordinaire rénovations et vie de quartier. Depuis l’arrestation de M. Fourgal, ils se sont transformés en extraordinaires outils de mobilisation. Et puis la dissimulation est de bonne guerre, la police aussi a ses ruses : samedi 18 juillet, le site d’investigation Baza révélait une note secrète ordonnant aux télévisions locales de rappeler les peines encourues et d’insister sur les risques de contamination au coronavirus. Le FSB – les services secrets russes –, lui, annonçait opportunément avoir déjoué un attentat. Cela ne suffit guère à calmer le chaudron qu’est devenu Khabarovsk en une semaine de mobilisations quotidiennes. Samedi 18 juillet, une foule gigantesque a encore arpenté les rues de cette cité de 600 000 habitants à la frontière chinoise, sous une chaleur écrasante et les hourras des passants : 12 000 selon la police ; entre 30 000 et 50 000 selon les médias locaux et les organisations spécialisées dans le comptage. Ces chiffres sont inouïs pour une cité de province. Ils pourraient même faire pâlir d’envie les opposants moscovites. Dans le long cortège, tous âges confondus, on est fiers et incrédules à la fois. On s’échange les messages de félicitations venus des autres régions. Les gens de Khabarovsk sont habitués à vivre dans leur bout du monde au climat si dur ; leur révolte est l’événement politique du moment. Cri de colère contre Moscou Ce qui a d’abord été remarqué, dans ce mouvement naissant, c’est la virulence et l’audace des slogans adressés au pouvoir central, à Vladimir Poutine. Mais ces cris-là sont devenus minoritaires. La lame de fond est autre, le consensus est ailleurs, qui peut être résumé par un pronom : « Notre gouverneur », « notre choix »… Le nôtre, quel qu’il fût… Pour la plupart, les manifestants n’excluent pas que leur gouverneur soit vraiment coupable de crimes. Médecin de formation, l’homme s’est lancé dans les affaires dans les années 1990, dans deux secteurs très criminogènes, le bois et le métal. Pour autant, la dimension politique de l’accusation ne fait aucun doute aux yeux des contestataires. Notamment parce qu’elle intervient plus de quinze ans après les faits présumés : entre-temps, M. Fourgal a accompli, en toute quiétude, trois mandats de député.

متعلقات