Loup Wolff : « Dans la culture, la notion de qualité est en train de s’hybrider »
2020-07-26 09:04:10
Pour le statisticien et sociologue, l’essor du numérique bouleverse les rapports entre culture et les publics.
Chef du département des études, de la prospective et des statistiques au ministère de la culture, Loup Wolff est coauteur, avec Philippe Lombardo, de l’étude « Cinquante ans de pratiques culturelles en France ». Il en détaille les points les plus saillants.
Votre étude montre que la société est de plus en plus culturelle. Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est l’un des constats les plus importants. La fraction des gens qui ne regardent que la télévision, une frange qui autrefois était essentiellement rurale et âgée, a fortement diminué. Cette dynamique culturelle est portée principalement par le numérique et l’audiovisuel – notamment par l’écoute de la musique, les vidéos en ligne ou les réseaux sociaux. Pour ne prendre que l’exemple de la musique, dans les années 1970, l’écoute à domicile était spécifique aux diplômés, aux urbains et aux cadres.
Aujourd’hui, elle s’est développée partout et dans toutes les franges de la société. Mais cette dynamique ne se réduit pas au numérique et est aussi portée par des comportements en hausse de fréquentation des lieux de culture (cinémas, théâtres, musées, monuments historiques).
L’autre fait majeur est le vieillissement de la plupart des pratiques traditionnelles, comme la lecture, la musique classique et les musées. Quels sont les ressorts de ce mouvement ?
Dans beaucoup de domaines, on observe une participation croissante des plus âgés à la vie culturelle : longtemps associées à la jeunesse, les sorties au cinéma, au spectacle, l’écoute quotidienne de musique sont devenues des usages courants y compris aux âges plus avancés. La culture patrimoniale est elle aussi touchée par ce phénomène, avec une problématique spécifique de baisse des pratiques chez les plus jeunes. Ce vieillissement, qui s’accompagne souvent d’une élitisation, par exemple pour les musées, induit un effritement des formes culturelles classiques.
Des pans entiers de ces arts perdent du public, notamment les formes les plus savantes comme la musique classique ou la lecture. Il faut chercher les causes du côté des baby-boomeurs. Cette génération atypique, nombreuse, a eu et a encore des pratiques culturelles plus intenses et plus fréquentes que les générations précédentes.
Or cette génération, qui a aujourd’hui entre 65 et 80 ans, vieillit et elle n’est pas remplacée. Ou plutôt elle est remplacée par une petite fraction de la population jeune et urbaine aux pratiques culturelles similaires dans leur intensité, mais qui est moins nombreuse et plus éclectique dans ses choix, car l’offre s’est considérablement élargie.