Dominique Rousseau : « La peur de la mort remet aux commandes le principe de sécurité contre le principe de liberté »
2020-10-20 13:53:18
Qu’elle soit causée par le Covid-19 ou par un acte terroriste, la peur de la mort fait resurgir l’Etat puissance au nom du principe de sécurité contre celui de liberté. Mais la crise met en lumière que l’Etat limité par le droit est une idée démocratique, souligne le juriste dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Au commencement était l’état de nature. Où, affirmaient certains philosophes, les hommes étaient libres de conduire leur vie comme ils l’entendaient. Où, soutenaient au contraire d’autres penseurs, les hommes vivaient dans une situation d’insécurité permanente, où chacun était un loup pour l’autre, selon la formule consacrée. De ce combat, Hobbes est sorti gagnant. Devant la peur de la mort, les peuples ont été convaincus d’abandonner leurs libertés naturelles et d’accepter la construction d’un Etat qui leur apporterait la sécurité physique. La sécurité en échange des libertés, telle est l’origine du contrat social étatique.
Mais Locke a continué le combat. Puisque Etat il y avait désormais, il fallait au moins qu’il reprenne à son compte les libertés que les hommes avaient à l’état de nature, qu’il garantisse leur libre exercice et qu’il les concilie avec le principe de sécurité.
Progressivement, au rythme des révolutions et des luttes sociales et politiques, les peuples ont imposé des limites, des contraintes, des obligations à l’Etat hobbésien. Par exemple, le respect du principe de la séparation des pouvoirs, pour casser la puissance de l’Etat en enlevant à son chef le législatif et le judiciaire et en confiant ces compétences à des institutions séparées et indépendantes de lui. Ainsi, écrivait Montesquieu, seraient assurés l’équilibre des pouvoirs, une politique modérée et la liberté des citoyens. Par exemple, encore, la soumission des autorités de l’Etat – police, administration, etc. – à la loi, pour empêcher qu’elles se donnent à elles-mêmes leurs propres règles de fonctionnement.
Maîtrise des corps
Et puis, dernier combat : après l’Etat légal, l’Etat de droit – c’est-à-dire un Etat où la loi elle-même et donc le législateur, fût-il élu, sont soumis au respect de la Constitution, des déclarations des droits et des conventions et traités internationaux. « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme », énonce l’article 2 de la Déclaration de 1789.
Locke a gagné ! D’accord conserver les droits que les hommes ont à l’état de nature : droit d’aller et venir, liberté individuelle, liberté d’opinion et de pensée… Pour cela, le pouvoir de l’Etat est sous le contrôle de la presse, de la rue, mais aussi des juges nationaux avec le Conseil constitutionnel, et supranationaux avec la Cour de Justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme.