Cyberharcèlement : « Sur les réseaux sociaux, la modération nécessite des moyens humains beaucoup plus importants »
2020-11-05 17:44:29
Après l’assassinat de Samuel Paty et dans un contexte de prolifération des « fake news », le chercheur en sciences de l’information Romain Badouard s’inquiète, dans un entretien au « Monde », du risque de déléguer aux seules plates-formes numériques la modération du débat public.
Comment lutter contre la diffusion de contenus potentiellement dangereux sur les réseaux sociaux, tout en préservant la liberté d’expression ? Pour Romain Badouard, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-II Panthéon-Assas, et auteur d’un ouvrage qui vient de paraître sur la régulation des réseaux sociaux (Les Nouvelles Lois du Web. Modération et censure, Seuil, 128 pages, 11,80 euros), une régulation démocratique des contenus passe par des procédures plus transparentes et un équilibre entre les rôles des pouvoirs publics, de la société civile et des plates-formes. Ces dernières devraient aussi revoir leur modèle économique.
Comment analysez-vous le rôle des réseaux sociaux dans l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, le 16 octobre ?
A son origine, l’affaire de Conflans-Sainte-Honorine relève d’une forme malheureusement assez banale de cyberharcèlement, le nom du professeur et de son collège ayant été clairement cités dans l’une des vidéos. Dans le droit français, le cyberharcèlement se caractérise par une attaque répétée contre un individu, visant à lui porter préjudice, et se distingue du discours de haine qui appelle à la discrimination ou à la violence vis-à-vis d’un groupe, ce qui ne semble pas être le cas dans cette affaire.
Les réseaux sociaux ont ici joué le rôle de tragique de chambre d’écho à l’indignation d’un parent d’élève, qui aurait dû être traitée dans la sphère privée. C’est la publicisation de cette colère qui a conduit à l’issue dramatique que l’on connaît. Le phénomène n’a rien d’étonnant : la colère fait partie des vecteurs d’attention les plus efficaces sur les réseaux sociaux. Plus les contenus sont indignés, plus ils sont regardés, et plus les algorithmes vont les rendre visibles car ils augmentent ainsi le temps d’exposition des internautes à des contenus publicitaires, sources de revenus pour les plates-formes.