Russell Banks : « Nous autres, Américains, avons des démons dans le cœur, mais un autre côté de notre âme est soucieux d’égalité »
2020-11-16 18:21:47
Au lendemain de l’élection présidentielle, alors que Donald Trump et Joe Biden ne sont pas encore départagés, le romancier et essayiste raconte, dans un entretien au « Monde », son espoir que le candidat démocrate puisse aider l’Amérique à « retrouver la meilleure part » d’elle-même.
Entretien. L’œuvre romanesque de cet auteur très impliqué dans la vie politique de son pays fait la part belle aux gens ordinaires, confrontés à des vies difficiles. Il a notamment écrit American Darling (Actes Sud, 2005) et Lointain souvenir de la peau, (Actes Sud, 2012).
Au lendemain de cette élection dont le résultat n’est pas encore connu, quel est votre sentiment ?
Je me suis couché très déprimé hier soir [mardi 3 novembre au soir], mais cet après-midi, je suis un peu plus optimiste : je pense que Joe Biden peut être élu président des Etats-Unis. Pourtant, plusieurs choses m’ennuient : d’abord, s’il gagne, ce sera sans doute d’une courte tête, donc il aura peu de marge pour gouverner sereinement. Ensuite, les démocrates ne vont probablement pas remporter le Sénat, ce qui risque d’affaiblir le nouveau président. Enfin, Trump acceptera-t-il calmement le résultat ? Ce n’est pas gagné. Il y a tellement de gens en colère dans ce pays, de groupes organisés, armés jusqu’aux dents et enclins à la violence… Huit cents millions d’armes sont en circulation sur le territoire américain ! Surtout, si Trump refusait le verdict des urnes et que l’armée intervenait pour restaurer l’ordre, nous serions typiquement dans une logique autoritaire.
Comment expliquez-vous le soutien dont continue de bénéficier Donald Trump, après quatre ans de scandales et de confusion ?
Beaucoup de gens l’adorent, il est l’objet d’une sorte de culte, presque une religion. Chez ses fans, un sentiment d’identité tribale s’est substitué aux opinions politiques. A leurs yeux, toute personne qui conteste leur leader les rejette eux-mêmes. Ce sont les ressorts classiques de la dynamique fasciste. Cette attitude explique aussi le silence des élus républicains, durant la présidence de Donald Trump : ils ont été terrifiés à l’idée que cette base cesse de voter pour eux aux élections locales. Certaines personnes finissent par aimer le pouvoir plus que la vérité.