« La réforme de la responsabilité financière des ministres et élus locaux constitue une régression majeure »
2022-05-01 11:31:49
La professeure de droit Stéphanie Damarey se demande, dans une tribune au « Monde », si le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics permet encore à la Cour des comptes de contrôler l’emploi des fonds publics.
La mise en place d’un régime unifié de responsabilité financière pour les gestionnaires publics était attendue. Elle prend corps avec l’ordonnance du 23 mars 2022 et vise à établir un régime de responsabilité par lequel les acteurs de l’exécution budgétaire ont à rendre des comptes sur l’emploi fait des fonds publics mis à leur disposition.
Présentée par Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, comme confortant la centralité du juge financier dans un nouvel ordre juridictionnel rénové, cette réforme apparaît toutefois décevante et interroge. Avec ce nouveau dispositif, la Cour des comptes est-elle encore en capacité de contrôler l’emploi de ces fonds ?
Immunité
C’est une réelle inquiétude qui résulte de la lecture des dispositions de cette ordonnance alors que le cadre juridique retenu va limiter les possibilités d’engager la responsabilité des gestionnaires publics. Pour s’en convaincre, il faut comprendre que les principaux ordonnateurs que sont les ministres et les élus locaux vont échapper, sauf à de rares exceptions, à leur responsabilité.
Cette immunité avait été dénoncée notamment par le précédent président de la Cour des comptes, Didier Migaud, qui avait espéré qu’avec cette réforme tous les gestionnaires publics, sans exception, auraient à rendre des comptes. Cela ne sera pas le cas et cela doit interpeller alors que le modèle français présente, sur ce point, une réelle singularité. Pour les modèles européens les plus proches avec lesquels une comparaison peut être faite (Italie, Espagne, Portugal), les ministres comme les élus locaux sont responsables de l’emploi fait des fonds publics.
En France, avec l’actuel régime, ils ne le sont que rarement. Ainsi, un seul ministre a eu à rendre des comptes au juge financier à l’occasion de l’affaire Carrefour du développement (gestion de fait impliquant Christian Nucci, alors ministre de la coopération). Tandis que leur immunité est totale devant cet autre juge financier qu’est la cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Une exclusion qui avait empêché l’examen de la responsabilité financière de Mme Lagarde (« affaire Tapie »).
S’agissant des élus locaux, le nouveau régime reprend les cas d’ouverture restrictifs qui avaient déjà été retenus par le législateur en 1948 lors de la création de la CDBF.
Autre écueil du texte, les chambres régionales des comptes perdent leurs compétences juridictionnelles. Ce point doit alarmer. Les chambres régionales des comptes (CRC) avaient été créées pour rapprocher l’examen des comptes publics des territoires.