Sénégal : grosses dépenses et petits arrangements, la face cachée du mandat de Macky Sall
2019-02-22 01:10:53
Le budget a triplé en sept ans rien que pour la présidence et le gouvernement. Un bilan en demi-teinte pour le président sortant.
En visite au Sénégal en mars 2018, le président turc Recep Erdogan n’a pu cacher sa surprise en serrant les mains des ministres sénégalais, tous venus l’accueillir à l’aéroport. « Vous avez beaucoup d’enfants ! », lance-t-il au président Macky Sall, qui vient de lui avouer, non sans-gêne, le nombre de membres du gouvernement. Trente-neuf au total ! Et c’est sans compter le ministre du suivi du Plan Sénégal Emergent (PSE), les trois ministres sans portefeuille et… les trente-neuf ministres conseillers. En refaisant donc les calculs, pas moins de quatre-vingt-deux ministres pour une population d’un peu plus de quinze millions d’habitants !
Pourtant, le mandat du chef de l’Etat avait débuté plus modestement en 2012. Vingt-cinq ministres. Comme promis dans son programme électoral. Mais la bonne gouvernance n’aura duré que six mois.
Parce qu’à gouvernement conséquent, budget conséquent. Plus de 1 400 000 000 000 francs CFA ont été votés en décembre 2018 pour la loi des finances 2019. Et ce, rien que pour la présidence, la primature et les trente-cinq ministères – les quatre autres étant des ministres délégués. Ce budget a triplé en sept ans, preuve de l’oubli de la promesse électorale. « Abdoulaye Wade avait multiplié les agences de développement budgétivores. Macky Sall, lui, le nombre de ministres et de fonds secrets, qu’on appelle communément caisse noire », regrette Jacques Habib Sy, président de l’ONG Aid Transparency.
Des magistrats sous pression
Dans son programme Yoonu Yokkute (« la voix du progrès » en wolof) que Macky Sall présentait aux Sénégalais en 2011, celui qui n’était alors que candidat accordait aussi une place de choix à l’indépendance de la justice. « Mis sous tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions avec impartialité et indépendance », pouvait-on lire dans le document de campagne de 2012 où le chef de l’Etat s’engageait à « renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par sa composition, son organisation et par son fonctionnement ».
Sept ans plus tard, le ministre de la justice, Ismaïla Madior, a signé ce 19 février, en émettant des réserves, le mémorandum pour l’indépendance de la justice présenté par la Plateforme de la société civile pour l’indépendance de la justice (Pacij). Tous les autres candidats à la présidentielle, eux, avaient sans réserve signé ce texte proposant de supprimer la présence de l’exécutif et du ministre de la justice au sein du CSM. Le garde des sceaux a, lui, suggéré un recul mesuré du président, mais pas un retrait.
Cette réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature n’est pas le seul dossier en attente. Les réformes judiciaires, proposées par l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) en 2017, tarde aussi à être effectives. « Les magistrats, quand ils jugent, même s’ils sont indépendants, subissent une pression telle que certains peuvent prendre des décisions qui plairaient à l’exécutif. Pour mettre fin à tout cela, il faut une réforme de la justice », expliquait le président de l’UMS, dans les colonnes de Sud Quotidien, le 7 janvier.
Accusé d’avoir créé une justice sélective
Selon le journaliste judiciaire Pape Ndiaye, c’est la justice sénégalaise dans son ensemble qui a connu un recul sous le premier mandat de Macky Sall. « La Constitution a été tripatouillée plus de dix fois, une tradition qui date de Senghor et dont Abdoulaye Wade a aussi largement usé, avec quinze révisions au total. Côté loi électorale, on ne compte pas moins de dix-huit modifications. Et enfin, il y a eu vingt-cinq plaintes contre le Sénégal devant les juridictions internationales », précise-t-il. La majorité d’entre elles concernent l’affaire Karim Wade, le fils de l’ancien chef de l’Etat.
Macky Sall est d’abord accusé d’avoir créé une justice sélective, qui écarterait ses adversaires politiques. Les cas de Karim Wade et de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamnés pour détournement de deniers publics, sont emblématiques de cette critique. Lors de son arrestation en mars 2017, Moustapha Diakhaté, alors président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, la coalition au pouvoir, déclarait dans un entretien au média en ligne Seneplus que « toute gestion épinglée par l’IGE [Inspection générale de L’Etat] sera traitée par les canaux prévus par la République (…). Même pour les rapports de l’Ofnac [Office national de lutte contre la fraude et la corruption]. Toutes les personnes qui ont été incriminées seront entendues et s’il doit y avoir des sanctions, elles seront sanctionnées ».
AFP.