« Face aux violences, nos Etats sahéliens, très fragiles, peuvent s’effondrer, et très rapidement »

  • 2019-06-14 22:34:47
Pour l’intellectuel malien Adam Thiam, seuls le désarmement et la bonne gouvernance permettront au Mali et au Burkina Faso d’enrayer la spirale des violences nourries par la prolifération des milices et l’expansion djihadiste. Journaliste et consultant, Adam Thiam est spécialiste du centre du Mali. Auteur d’un rapport de référence in­titulé « Centre du Mali : enjeux et dangers d’une crise négligée », publié en 2017 par le Centre pour le dialogue humanitaire, il a aussi étudié les ­conflits et les questions de développement au Sahel. Cet intellectuel malien est par ailleurs un familier des arcanes politiques : ex-porte-parole de la commission de l’Union africaine, il est actuellement conseiller de l’ancien président de transition malien Dioncounda Traoré (2012-2014). Au Mali, le nombre de civils tués dans des attaques a augmenté de 300 % entre novembre 2018 et mars 2019, en majorité dans la région du centre. Le Burkina Faso s’embrase à son tour. Comment expliquer cette flambée des violences ?La situation qui prévaut aujourd’hui dans le centre du Mali découle de l’offensive djihadiste qui avait été lancée dans le nord, en 2012. C’est cette même année qu’Amadou Koufa [aujourd’hui chef djihadiste dans le centre du Mali] a été recruté, au nord, par Iyad Ag Ghali [principal leader djihadiste pour ­l’ensemble du Sahel]. Un de leurs projets était alors d’annexer le centre du Mali. Ils ont échoué, mais beaucoup de groupes armés islamistes sont restés dans la région du centre ou se sont dispersés vers le Burkina Faso. D’ailleurs, au Burkina, Ibrahim Malam Dicko [fondateur du groupe armé islamiste Ansaroul Islam] a lui aussi été formé par Iyad Ag Ghali, qui a placé ses pions pour creuser son sillon. Ses combattants ont attendu que les opérations militaires de 2013 [opération « Serval » menée par l’armée française] se tassent. La suite a été relativement facile pour eux. Il n’y avait pas vraiment d’Etat capable de les contrer, et ils ont pu avancer. Quel est le lien entre l’offensive djihadiste de 2012 et les affrontements actuels entre milices d’autodéfense qui se multiplient au Sahel ?La création de ces milices a été une riposte au djihadisme. Au centre du Mali, ce phénomène est apparu, fin 2015, dans le sillage de l’opération militaire « Seno ». L’armée malienne a en effet commencé à utiliser comme éclaireurs des membres de la confrérie traditionnelle des chasseurs [appartenant au peuple dogon] pour lutter contre les groupes armés islamistes. Un an plus tard, le chef de la confrérie, Théodore Soumbounou, était assassiné par des djihadistes peuls. La milice dogon Dan Na Ambassagou a été créée dans la foulée en réaction au meurtre de Soumbounou. Meurtre dont les chasseurs dogon ont rendu responsables les Peuls en général, selon un raccourci : tous les djihadistes qu’ils avaient tués étant des Peuls, tous les Peuls étaient un problème. Dan Na Ambassagou a organisé un blocus économique contre la communauté peule, qui s’est à son tour ­défendue en se dotant de milices. Au Burkina Faso aussi, les affrontements se multiplient. Les causes sont-elles les mêmes qu’au Mali ?Nos problèmes sont les mêmes. Nos armées sont logées à la même enseigne. Nos Etats aussi. Toutes ces milices sont nées à partir du sentiment partagé par les différentes communautés : elles ne se sentent pas assez protégées par l’Etat et l’armée. Au Burkina Faso, les autorités ont favorisé l’implantation des milices koglweogo sur la base d’un constat, valable aussi au Mali : dans cette guerre asymétrique qui déstabilise les Etats, les troupes régulières ne suffisent pas, et il est possible de faire appel à des troupes paramilitaires susceptibles de contribuer à la sécurisation du pays. Je pense que c’était là une erreur, car l’action de ces milices s’est pervertie. Au vu de la multiplicité des acteurs et des conflits au Sahel, ne se dirige-t-on pas vers un morcellement politique des zones touchées par l’insécurité ?C’est tout à fait possible. Dans la région de Mopti, au Mali, il n’y a plus d’Etat. La quasi-totalité des 108 communes qui composent cette région sont dans l’œil du cyclone djihadiste. A tel point qu’il n’est pas exagéré de parler dans cette zone d’un début de califat. L’Etat est présent dans les chefs-lieux, mais, autour, les djihadistes ont imposé leur loi. La question de l’existence de l’Etat se pose même au-delà du centre du Mali, à l’échelle nationale malienne et pour le Burkina Faso.  

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