Crise à Hongkong : « Tout indique que la Chine cherche un plan B »
2019-06-17 21:33:30
Florence de Changy, correspondante du « Monde » à Hongkong, a répondu à vos questions sur la révolte actuelle des Hongkongais.
Lea : J’ai lu que le système électoral favorisait les partis pro-Pékin. Pouvez-vous expliquer comment ?Florence de Changy : C’est un raccourci qui couvre des situations différentes selon les élections. En commençant par le « haut », l’élection du n° 1 de HK, le ou la chef de l’exécutif, seuls 1 200 « électeurs » ont droit au vote et ce collège électoral est composé d’acteurs de la vie économique, sociale et politique (plutôt favorables à la Chine continentale) de manière à quasiment garantir qu’au moins une majorité de ces « grands électeurs » voteront pour le candidat préféré de Pékin. Carrie Lam a eu 777 votes (pas 1 200) et son prédécesseur, C.Y. Leung, était souvent surnommé 689, car il avait eu tout juste la majorité. Avant cette étape, il est également difficile, mais c’est arrivé, pour des candidats prodémocratie de se qualifier.
Au Legco (Legislative Council), le Parlement, la moitié des sièges sont attribués à des élus représentant des professions ou des pans spécifiques de la société. Le camp « pro-establishment » y est toujours majoritaire. L’autre moitié des sièges est attribuée par circonscriptions. Les candidats prodémocratie gagnent en général plus de la moitié des sièges. Il y a également 5 « supersièges », pour lesquels tout le monde peut voter. Mais, en plus, depuis les élections législatives de 2016, le gouvernement a imposé de nouvelles règles qui ont empêché certains candidats de l’opposition de se présenter (c’est le cas de tous les membres du parti Demosisto) et a également disqualifié six parlementaires de l’opposition, notamment pour avoir « mal prêté serment »…
Au niveau local, la démocratie est la plus réelle, mais les candidats pro-Pékin disposent souvent de plus gros moyens de persuasion.
Youhou : Ces manifestations ont-elles une dimension historique ? La population hongkongaise s’était beaucoup plus mobilisée lors de la « révolte des parapluies »…Florence de Changy : Ces manifestations ont, de toute évidence, une dimension historique, ne serait-ce que par leur ampleur. Hongkong ne compte que 7,3 millions d’habitants. C’est, en soi, exceptionnel d’assister à une telle mobilisation, qui plus est sans dérapage violent (je ne parle que des deux marches des dimanches 9 et 16 juin). La « révolte des parapluies » a duré soixante-dix-neuf jours, l’enjeu était très différent.
En 2014, les Hongkongais voulaient « gagner » quelque chose, ils se battaient pour une façon plus démocratique d’élire leur chef de l’exécutif et refusaient la proposition de Pékin. Ils n’ont finalement rien obtenu, et la proposition de Pékin n’est pas passée. Mais ce projet de loi d’extradition, qui est au cœur des manifestations en ce moment, serait du point de vue des Hongkongais un énorme recul et, s’il devait être adopté, constituerait une brèche irréparable au principe qui régit Hongkong jusqu’en 2047 : « un pays, deux systèmes ». C’est pour cela que cela touche très profondément à l’identité hongkongaise.
Musachi : Peut-on imaginer que Pékin en reste là ? Quid de l’avenir de Hongkong ?Florence de Changy : Pékin vient de réaffirmer son soutien à Carrie Lam (lundi soir, heure locale). Il est délicat, voire périlleux pour Pékin de la désavouer à la suite des manifestations. Cela créerait un précédent ingérable. En même temps, si le gouvernement n’accède pas à certaines demandes des manifestants dans les jours ou semaines qui viennent, la crise va s’amplifier et devenir de plus en plus compliquée à gérer. Tout indique que le gouvernement central cherche un « plan B », mais le profil d’un chef de l’exécutif qui soit suffisamment loyal à Pékin tout en ayant la confiance des Hongkongais n’est pas facile à trouver !
Irish21 : La Chine peut-elle se permettre de « lâcher » Hongkong au risque d’une contagion à d’autres territoires sur lesquels elle entend garder une mainmise (Taïwan…) ?Florence de Changy : Je ne suis pas sûre de ce que vous voulez dire par « lâcher ». Mais en aucun cas la Chine ne voudrait lâcher Hongkong, qui est la seule ville véritablement internationale de Chine et qui continue d’avoir un rôle important d’intermédiaire entre la Chine continentale et le reste du monde. Taïwan est, de fait, indépendant depuis 1949 et il avait été sous contrôle japonais pendant cinquante ans de 1895 à 1945, donc même si la Chine de Xi Jinping affiche des velléités de reprise de Taïwan, son indépendance de fait est une réalité depuis soixante-dix ans. Taïwan est également démocratique depuis plus de vingt ans. Ce sont des situations très différentes.