Ebola en RDC : le ministre de la santé démissionnaire révèle « les tentatives d’introduction illégale d’un vaccin expérimental »

  • 2019-07-28 03:54:39
Dans la lettre de départ qu’il a adressée au chef de l’Etat congolais, Oly Ilunga dénonce les « pressions de toutes parts » qu’il a subies. Il puise dans le champ lexical militaire pour décrire la délicate lutte en cours contre Ebola. « Comme dans toute guerre, car c’est bien de cela dont il s’agit (…), il ne peut y avoir plusieurs centres de décision, au risque de créer des confusions », écrit Oly Ilunga, médecin devenu, en décembre 2016 ministre de la santé de la République démocratique du Congo (RDC). C’est d’ailleurs ainsi qu’il explique sa démission avec fracas, lundi 22 juillet, dans une lettre adressée au chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, qu’il a rendue publique. L’ancien ministre y dénonce des « pressions de toutes parts » et « la mise en place d’un système parallèle qui ne renforce jamais le système existant » ; il fustige « des acteurs qui ont fait preuve d’un manque d’éthique manifeste en cachant volontairement des informations importantes aux autorités sanitaires ». En fonction, M. Ilunga a eu à gérer la huitième épidémie d’Ebola survenue dans la province du Bas-Uélé (12 mai-1er juillet 2017, 4 décès) et la suivante, dans la province de l’Equateur (8 mai-24 juillet 2018, 33 morts). La dixième épidémie, officiellement déclarée le 1er août 2018, toujours en cours dans le Nord-Kivu et de l’Ituri, est indéniablement la plus complexe. Et la plus meurtrière avec au moins 1 750 décès enregistrés. Elle se déroule dans une région frontalière de l’Ouganda, traumatisée par les guerres passées et les conflits entretenus par des « entrepreneurs » de la violence, hommes politiques et chefs de milices. Dans un tel contexte sécuritaire, les agents de la Riposte, la structure de coordination de la lutte contre Ebola orchestrée par le ministère congolais de la santé, prennent des risques. Ils sont régulièrement attaqués par des groupes armés, pris à partie par des populations hostiles et menacés. Des centres de santé ont été détruits. Un médecin camerounais de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été tué à bout portant lors d’une réunion, en avril. Cette agence spécialisée des Nations unies a déclaré, le 17 juillet, que ce nouvel épisode épidémique d’Ebola était désormais une « urgence sanitaire mondiale », sans pour autant recommander la fermeture des frontières. Trois jours plus tard, de Kinshasa, la capitale à plus de 3 000 km à l’ouest des zones où le virus répand la mort, le président Félix Tshisekedi a annoncé sa reprise en main de la lutte contre Ebola. Jusque-là confiée au ministère de la santé, elle est désormais pilotée par un comité d’experts dirigé par le professeur Jean-Jacques Muyembe Tamfum, 77 ans. Ce dernier, scientifique congolais de renom, dirige l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) de Kinshasa et fait partie des découvreurs du virus Ebola, en 1976. Le ministre de la santé, Oly Ilunga, a décidé de démissionner. Dans un entretien accordé au Monde, il revient sur sa gestion de cette épidémie et sur les « pressions » auxquelles il a dû faire face. Avez-vous vécu cette réorganisation de la Riposte par le président Tshisekedi comme un désaveu ?Oly Ilunga Je ne conteste pas la décision du chef de l’Etat. J’en tire simplement les conclusions logiques. Sans me consulter, sans tenir compte de la sensibilité du secteur de la santé que j’ai dirigé, la présidence de la République a décidé de confier la gestion de cette crise à un groupe de personnes. Ce qui pose un problème de confiance et comporte un risque énorme d’interférence et de cacophonie dans la lutte contre Ebola. Je ne suis pas prêt à prendre ce risque et j’ai préféré me retirer. Dans une telle crise, l’unicité de commandement est une nécessité, plus encore dans un contexte de guerre. C’est ce qui a permis de contenir l’épidémie et d’éviter qu’elle se répande dans les grandes villes, même s’il y a eu quelques cas sporadiques. Quelles sont les « pressions de toutes parts » évoquées dans votre lettre de démission ?Un consortium opaque s’est constitué et un lobby malveillant est à l’œuvre. Il a tenté par tous les moyens d’imposer, en RDC, le vaccin expérimental du fabricant pharmaceutique Johnson & Johnson. A l’issue de plusieurs réunions, dont les dernières datent du 28 juin et 29 juin, nous sommes arrivés à la conclusion que ce vaccin n’est pas approprié pour arrêter l’épidémie en cours. Il n’est qu’en phase 2 de test et nécessite deux injections administrées à 56 jours d’intervalle. Toutefois, à notre insu, des personnes ont tenté d’introduire illégalement ce vaccin et ont formé des vaccinateurs, comme nous l’ont rapporté des acteurs de terrain.

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