A Barcelone, les indépendantistes entre démonstration de force et impuissance
2019-09-13 06:00:28
Les partisans d’une sécession de la Catalogne ont manifesté, comme chaque 11 septembre, mais les discours étaient pessimistes vis-à-vis des partis politiques.
Ce devait être une démonstration de force pour les indépendantistes catalans. Quelques semaines avant le verdict attendu en Espagne du procès des neuf dirigeants accusés de « rébellion » pour la tentative de sécession d’octobre 2017, des centaines de milliers de personnes se sont réunies à Barcelone, comme chaque 11 septembre, jour de Diada, la fête de la Catalogne, pour demander l’indépendance. Cependant, la baisse du nombre de participants par rapport aux dernières années – 600 000 contre 1 million en 2018, selon la police municipale – a traduit l’essoufflement du mouvement. Quant aux discours, ils ont paru désabusés et critiques envers les partis sécessionnistes, ou pessimistes quant à la possibilité de voir un jour l’indépendance se matérialiser.
Sur la tribune, faute d’objectifs à court terme et de stratégie commune, les organisateurs se sont contentés d’appeler à l’unité du mouvement et de refaire l’histoire de ces dernières années, des premiers petits référendums populaires de 2009 à la déclaration d’indépendance d’octobre 2017, comme si le temps de la nostalgie était déjà venu.
« L’indépendance est possible, mais je ne sais pas si je la verrai un jour, affirme Javier Gutierrez, commerçant de 65 ans. Nous avons besoin de temps pour convaincre plus de monde. Le Brexit montre qu’une séparation sans accord n’est pas la solution. » « Les politiques ne font pas grand-chose pour obtenir l’indépendance, critique Marc Diestre, vétérinaire de 31 ans, favorable au contraire à une confrontation directe avec l’Etat. J’espère que je ne vais pas avoir à manifester vingt ans de plus. »
« L’objectif, on le voit, le chemin, plus trop »La division entre les partis et associations indépendantistes est de plus en plus criante en Catalogne, entre les irrédentistes et les pragmatiques, entre ceux qui défendent une stratégie basée de nouveau sur la voie unilatérale et la confrontation et ceux qui veulent reconstruire des ponts avec le gouvernement espagnol afin d’obtenir des concessions en termes d’infrastructures ou de financement, le temps d’élargir le soutien à l’indépendantisme. Selon le dernier sondage du Centre d’étude catalan (CEO), paru fin juillet, 44 % des Catalans sont favorables à l’indépendance, contre 48 % qui y sont opposés.
« Il n’y a pas de marche arrière possible, veut croire Ferran Griera, ingénieur de 48 ans. C’est juste une question de temps : un jour viendra où nous serons tellement nombreux que l’on ne pourra plus nous sortir l’excuse que nous ne sommes pas assez. J’espère que le verdict du procès ouvrira les yeux des autres Catalans, pour qu’ils voient que la situation actuelle n’est pas tenable. »
« L’objectif, on le voit, mais le chemin, plus trop », avoue, penaud, Salvi H., 23 ans, étudiant en sciences de l’ingénieur. Chaque dimanche, il va chanter devant la prison de Lledoners en soutien aux dirigeants indépendantistes qui s’y trouvent en détention préventive.
« Nous devons penser à des mobilisations qui dérangent, à une lutte non violente qui affaiblisse les tentacules de l’Etat », explique la présidente de l’Assemblée nationale catalane (ANC), Elisenda Paluzie, qui défend la voie unilatérale. « Si, aux prochaines élections catalanes, nous obtenons plus de 50 % des votes, nous aurons un mandat pour reprendre la déclaration d’indépendance, la maintenir et résister », dit-elle, convaincue que les pragmatiques se rallieront à ses thèses « quand ils verront qu’il n’y a pas de dialogue possible avec Madrid, et que la condamnation tombera ».
L’ANC, longtemps à la fois écoutée et utilisée par les politiques indépendantistes qui comptaient sur sa capacité de mobilisation des masses, a perdu son pouvoir d’influence et se montre très critique envers les partis politiques, trop timorés et divisés par des luttes de pouvoir à son goût.
Fort pouvoir de déstabilisationLes deux grands partis indépendantistes ont adopté des stratégies divergentes et le seul ciment qui les unit est la défense des « prisonniers politiques et des exilés ». Le parti de la Gauche républicaine catalane (ERC), qui a remporté les élections municipales en Catalogne en mai, a abandonné la voie unilatérale pour incarner la modération et le pragmatisme. Ensemble pour la Catalogne (JxC), la formation de l’actuel président catalan, l’indépendantiste radical Quim Torra, maintient, pour sa part, un discours dur, de confrontation, qui ne se concrétise cependant pas dans les faits. Il est ainsi régulièrement qualifié de « traître » par les indépendantistes les plus radicaux. Aux cris de « Sans désobéissance, pas d’indépendance ! », plusieurs centaines d’entre eux ont d’ailleurs manifesté devant le Parlement catalan.
Malgré l’impuissance des indépendantistes pour concrétiser leurs objectifs, le conflit catalan ne conserve pas moins un fort pouvoir de déstabilisation en Espagne.