Inégaux dès le berceau, les enfants « vivent dans la même société mais pas dans le même monde »

  • 2019-09-15 12:56:32
« Enfances de classe », la vaste enquête dirigée par le sociologue Bernard Lahire, montre la façon dont l’enfant construit son rapport au monde, très différent selon la classe sociale dans laquelle il grandit. Bien que les enfants semblent parfois happés dans des formes de sociabilité et de rapport au monde qui n’appartiennent qu’à eux, ils n’échappent pas, tant s’en faut, aux lois de la reproduction sociale. Il y a en effet peu de murs qui aient prouvé au fil du temps une aussi grande résistance à l’arasement que ceux qui séparent les individus en fonction de leurs origines. « Les enfants, pose Bernard Lahire dès l’introduction d’Enfances de classe, vivent au même moment dans la même ­société, mais pas dans le même monde. » Distances « abyssales » entre le haut et le bas de la sociétéEn prenant pour objet trente-cinq élèves de grande section de maternelle, l’enquête menée par les seize chercheurs qu’a réunis le sociologue ambitionne d’établir aussi sensiblement que possible les distances « abyssales » qui séparent aujourd’hui le haut et le bas de la société. « Nous avons rencontré, précise-t-il, des enfants vivant dans la rue et des enfants de riches entrepreneurs, des enfants qui ne maîtrisent pas bien le français et d’autres qui tentent déjà le passé simple et jouent avec les mots… » Il s’agit en effet de « montrer » plus que de « démontrer ». De ­provoquer un « choc sensible » chez le lecteur et, peut-être, chez ceux qui pourraient décider de politiques de réduction des inégalités. Pourtant, au fil des tableaux d’enfances brossés par les sociologues, se dessine aussi par petites touches une interprétation des inégalités plus large que celle qui est communément admise. Au-delà des inégalités de ressources économiques ou culturelles, c’est tout un rapport au monde produit dès l’enfance, dans la famille et à l’école, qui est soumis à examen. Un rapport au monde qui sera « augmenté » pour les uns, tant leur enfance les aura prédisposés à se saisir des occasions, et « diminué » pour les autres, qui auront principalement fait l’expérience du manque et de leur désajustement initial à la grande compétition sociale. Une sociabilité utileAu sommet, l’enfance est le ­moment où s’apprennent les vertus qui permettront de conforter et d’augmenter la prise familiale sur le monde. L’exercice de sports ouvrant à une sociabilité utile ou augmentant le contrôle de soi et le leadership, les voyages qui familiarisent avec l’idée que l’on est « chez soi » bien au-delà de l’espace familial, participent à cet ­apprentissage. Valentine, dont les parents sont des cadres supérieurs parisiens, pratique le tennis au Racing dès la maternelle parce que, selon sa mère, « socialement, y’ a quand même un sport à Paris, si on veut jouer avec des amis, c’est quand même le tennis ». L’école n’est pas exclue de ce jeu sérieux. La compétition y commence très tôt, par exemple pour la maîtrise de la lecture, et les choix d’établissements scolaires sont cruciaux, comme la valori­sation d’une culture de l’effort qui permettra de trouver un bon travail.Le monde

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