Bruno Strasser : « Une grande part de la connaissance numérique produite n’est pas rendue visible »

  • 2019-09-17 15:49:25
Bruno Strasser, biologiste et historien des sciences, professeur à l’université de Genève (Suisse) et de Yale (Etats-Unis), est l’auteur de Collecting Experiments, Making Big Data Biology (University of Chicago Press, 392 p, non traduit). Le monde scientifique fait face à une avalanche de données numériques, appelées « big data ». Ce concept est-il si nouveau ? Non, le big data, qui évoque tout autant une quantité massive de données qu’une surcharge informationnelle à traiter, est évoqué depuis des siècles dans le monde scientifique. Dans son livre Too Much to Know (Yale University Press, 2011), l’historienne Ann Blair décrit comment, submergés par les quantités d’informations écrites, les savants de la Renaissance inventaient des classements de bandelettes de papiers sur des crochets thématiques. Même sentiment de submersion des naturalistes au XVIe siècle quand les bateaux du Nouveau Monde reviennent avec dix fois plus d’espèces, plantes et animaux, que celles alors connues en Europe. Au XVIIe, Leibnitz se plaint devant cette masse grandissante d’ouvrages, désespéré à l’idée qu’on n’arrivera plus à tout lire… Ces époques de « big data » sont-elles régulières dans l’histoire ?Ces moments où surgit le sentiment d’explosions de données s’inscrivent dans des périodes historiques particulières de découvertes, d’accélération technologique, etc. Bien sûr, les quantités de données sont moins importantes que celles évoquées aujourd’hui avec le numérique, mais cela reste massif si on regarde le rapport entre quantités accessibles et capacité de l’époque à les traiter. Certaines sciences ont-elles été plus rapidement touchées ?Cela concerne, au départ, des sciences dites de collection – histoire naturelle, paléontologie, archéologie –, et les données se retrouvent dans des musées, jardins botaniques ou bibliothèques. Chaque tradition scientifique va ensuite s’adapter au cours des siècles. Au XIXe, dans les sciences expérimentales, en physique ou en biologie, par exemple, on mesure et on produit du chiffre en grande quantité. Au XXe, l’impact le plus emblématique d’un nouvel outil est le CERN, qui produit des masses de données qui n’existaient pas avant les années 1950.   L’accès aux données n’est pas simple, est-ce nouveau pour le monde scientifique ?En 1953, le grand naturaliste Ernst Mayr a édicté, dans un livre de bonnes pratiques, les normes et valeurs de son champ. Aux futurs naturalistes, il dit : si vous collectez quelque chose, référencez-la bien et rendez-la accessible publiquement, en la donnant à un musée, par exemple. Puis, s’adressant aux musées : il faut que tout le monde puisse avoir accès à ces données. Vous en êtes les dépositaires, la collection vous appartient, mais paradoxalement pas les éléments qui la composent. L’idée était aussi d’éviter que le spécimen soit enfermé dans le bureau du curateur, qui en tire un profit tout personnel en écrivant une monographie. Ce sont ces règles, tout comme les échanges de spécimens entre musées à des visées de recherche, qui ont permis à l’histoire naturelle de grandir. Le Musée de zoologie des vertébrés en Californie, créé en 1900, est réutilisé actuellement pour comprendre les questions du changement climatique.  

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