Colombie : manifestations et concerts de casseroles contre le président Duque
2019-11-22 09:40:17
Des centaines de milliers de Colombiens sont descendus dans la rue jeudi, lors de manifestations d’une ampleur inédite contre le président Ivan Duque, très impopulaire après moins de dix-huit mois au pouvoir.
Le mouvement lancé par des syndicats de travailleurs a connu un effet boule de neige en Colombie. A la grève et aux marches convoquées par les organisations sociales, se sont joints, jeudi 21 novembre, les étudiants, les indigènes, des organisations de défense de l’environnement et d’opposition, pour dénoncer les politiques du gouvernement de droite.
« La Colombie a gagné en cette journée historique de mobilisation citoyenne », a estimé dans un communiqué le Comité national de grève, regroupant les organisateurs, qui ont sollicité une réunion « immédiate » avec M. Duque et appelé « les citoyens à se tenir prêts à mener de nouvelles actions dans la rue si le gouvernement persiste dans son indifférence face aux revendications ».
Dans la soirée, le président a affirmé avoir entendu les manifestants, mais n’a pas répondu à la requête de dialogue direct. « Aujourd’hui, les Colombiens ont parlé. Nous les entendons. Le dialogue social a été la bannière principale de ce gouvernement. Nous devons l’approfondir avec tous les secteurs de cette société », a-t-il déclaré.
Des incidents
Cette mobilisation survient dans un climat agité en Amérique latine, avec des crises sociopolitiques, sans dénominateur commun, déclenchées en Equateur, puis au Chili et en Bolivie. La journée, globalement pacifique, s’est achevée par des incidents violents et des concerts de casseroles, du jamais-vu en Colombie. Les organisations à l’origine du mouvement ont déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) que plus d’un million de personnes avaient défilé dans le pays.
La ministre de l’intérieur, Nancy Patricia Gutierrez, a pour sa part fait état de près de 207 000 manifestants, ajoutant qu’« en termes généraux les participants ont marché de manière pacifique », mais dénonçant « quelques vandales qui veulent altérer l’ordre public ». Au moins 42 civils et 37 policiers ont été blessés au cours d’affrontements, et 36 personnes arrêtées dans tout le pays, selon le bilan des autorités.
Un grand cacerolazo ou concert de casseroles, convoqué par les réseaux sociaux, a clos la journée pour dénoncer des violences de policiers antiémeute. A Bogota, il a duré plus de deux heures. Les casseroles ont aussi résonné notamment à Cali (ouest), troisième ville du pays, où un couvre-feu a été décrété par le maire de 19 heures à 6 heures locales en raison de « faits violents » et de « pillages ». Des habitants armés y surveillaient des immeubles et des résidences pour éviter des vols, a constaté un photographe de l’AFP.
Dans le centre de la capitale, des affrontements ont eu lieu à la tombée de la nuit, des personnes encagoulées, ou la tête couverte d’une capuche, jetant des pierres et autres projectiles contre les forces de l’ordre, qui ripostaient avec des gaz lacrymogènes.
Un nouveau concert de casseroles a été convoqué pour vendredi après-midi, alors que de jeunes manifestants ont continué de défiler jusqu’en début de soirée dans Bogota, au cri de « Vive la grève nationale ! », a constaté une journaliste de l’AFP.
Dans l’après-midi, des étudiants qui marchaient vers l’aéroport international avaient été stoppés par la police à coups de grenades assourdissantes, a constaté un autre reporter de l’agence. Au cours de la journée, plusieurs cortèges avaient convergé vers la place Bolivar, cœur historique de Bogota, proche de la présidence. Dans la foule, des dizaines d’indigènes. « Nous espérons que la violence cesse dans nos territoires (…) que la paix soit mise en œuvre et qu’on arrête de nous tuer », a déclaré un de leurs leaders, Luis Fernando Arias.
Un président impopulaire
« Nous sommes fatigués de la corruption, de l’impunité, que le gouvernement ne fasse rien pour les pauvres », a expliqué à l’AFP Olga Cañon, femme au foyer de 55 ans.
A Medellin (nord-ouest), deuxième ville du pays, Rodrigo Londoño, ex-chef de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et aujourd’hui du parti homonyme créé depuis l’accord de paix de 2016, a dit espérer « que le gouvernement écoute le peuple ».
Cette mobilisation a lieu alors que M. Duque, qui n’a pas de majorité au Parlement, pâtit d’une impopularité de 69 % selon les sondages. Son parti, le Centre démocratique (CD), a subi de sérieux revers lors des élections locales d’octobre.
Le chef de l’Etat « va devoir ouvrir plusieurs fronts de dialogue avec les organisations sociales d’une part, et les partis politiques d’une autre, pour tenter d’amplifier la base de son gouvernement », a déclaré à l’AFP le politologue Yann Basset, de l’université du Rosario, à Bogota.