Après Evo Morales, les nouvelles fractures de la Bolivie

  • 2019-12-17 18:00:34
L’ex-président, exilé en Argentine, mobilise contre lui les Blancs de Santa Cruz. Près de la moitié du pays demeure attachée à lui, mais son propre camp est désormais divisé. Dans un ballet ininterrompu, les camions cahotants déversent leurs marchandises accumulées après des semaines de blocage. Sur le marché de Villa Dolores, à El Alto, le froid est tenace, en ce petit matin. Du haut de ses 4 000 mètres, cette cité populaire de près d’un million d’habitantsdomine La Paz, la capitale administrative bolivienne, longtemps considérée comme un bastion de l’ex-président Evo Morales. Rudi et Soledad, jeune couple d’agriculteurs, retrouvent leur place dans les allées. La vie a repris son cours, mais tous ici ont encore en tête le terrible conflit au cours duquel le pays s’est déchiré, certains allant jusqu’à craindre une « guerre civile ». Des élections contestées, au lendemain du scrutin le 20 octobre, des milliers de manifestants dans les rues, un chef de l’Etat contraint de démissionner et une présidente intérimaire, Jeanine Añez, autoproclamée, jugée illégitime par une partie de la population… Aujourd’hui encore, la polarisation est extrême, alors que près de la moitié du pays demeure attachée à Evo Morales, en exil en Argentine. Mme Añez, a annoncé, samedi 14 décembre, l’émission imminente d’un mandat d’arrêt contre l’ancien président. Sur le marché de Villa Dolores, ces paysans producteurs refusent de tourner la page de l’ère « Evo ». Ils ont été parmi ses plus fidèles soutiens lors de ses treize années de pouvoir. Il est celui auquel ils s’identifient ethniquement, culturellement, socialement, et ils n’oublient pas son legs, inestimable selon eux. « Il comprenait les besoins du peuple, il nous aidait. On avait de l’eau pour l’irrigation, des semences, des engins mécaniques », assure Eliana, productrice de pommes de terre. « Avant lui, si on venait de la campagne, on n’avait pas d’opportunités, on ne pouvait pas étudier », témoigne Nancy, jeune vendeuse sur le marché. Si certains espèrent encore son retour, la plupart se sont résignés à regarder l’horizon des nouvelles élections, en 2020, sans lui. Une première depuis dix-huit ans. Vieilles tensions ethniques A El Alto, plus qu’ailleurs dans ce pays de 11 millions d’habitants, le conflit s’est fait durement sentir. Le déblocage de l’usine de combustibles de Senkata, par l’armée du gouvernement transitoire, a fait 10 morts et des dizaines de blessés, le 19 novembre. Assis aux côtés de leurs légumes disposés à même le sol, leur enfant emmitouflé dans des couvertures, Soledad et Rudi vivent encore dans la peur des violences. Le jeune époux a participé aux marches de soutien à Morales, où toutes les rumeurs circulaient. « On entendait que des gens venaient en bus de Santa Cruz [la capitale provinciale de l’est du pays, bastion de l’opposition à Morales] pour nous attaquer. »    

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