L’ancienne colonie britannique envisage pour la première fois de déchoir de la nationalité chypriote 26 riches investisseurs étrangers au profil douteux. La cession de la nationalité contre investissements, en vogue dans plusieurs Etats européens, inquiète Bruxelles.
Les grues pivotent sur leur base. Le bruit des marteaux-piqueurs résonne sur cette côte méditerranéenne qui regarde vers Beyrouth et le Levant. A Limassol, deuxième plus grande ville de Chypre, des chantiers s’étalent sur plusieurs kilomètres. Le long de l’autoroute en provenance de la capitale, Nicosie, d’immenses panneaux publicitaires se succèdent, promettant une vie de rêve dans de prestigieux futurs appartements en front de mer. Avec, en bonus, un passeport pour l’Europe.
Depuis près de sept ans, l’ancienne colonie britannique, devenue membre de l’Union européenne (UE) en 2004, puis de la zone euro en 2008, vend sa citoyenneté à de grosses fortunes extracommunautaires et à leurs familles, moyennant un investissement (actuellement 2,5 millions d’euros), dans l’immobilier surtout, et quelques donations. Ici, acquérir un bien offre donc l’opportunité, pour des non-Européens, d’obtenir un passeport valable dans toute l’UE et d’y développer leurs affaires.
Inauguré en 2013, lorsque ce petit Etat insulaire de 1,2 million d’habitants était au bord de la faillite, le Cyprus Investment Programme (CIP) a bénéficié, selon le ministère de l’intérieur chypriote, à « environ 4 000 » riches étrangers et a généré quelque 8 milliards d’euros de recettes. Une aubaine.
A l’époque, en pleine crise de la zone euro, Chypre croulait sous les dettes. Le pays, dont la partie nord occupée par la Turquie reste hors de l’UE, possédait un secteur bancaire hypertrophié, fortement suspecté de servir de paradis fiscal à de richissimes Russes et autres ex-Soviétiques, bien que les autorités s’en défendent. Au point que Limassol avait acquis le surnom de « Limassolgrad », et pas seulement à cause des nombreux touristes slaves.
De 17 % en 2013, le taux de chômage avoisine désormais les 6,5 %
Une cure d’austérité, menée sous l’impulsion de la « troïka » (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et UE), complétée par ce programme « investissements contre passeports », a permis de redresser la barre. De 17 % en 2013, le taux de chômage a été ramené aujourd’hui à 6,5 %. « La construction d’immeubles de 13 ou 14 étages a créé des emplois liés au secteur du BTP. Oui, je peux dire qu’au début, cela nous a aidés », confesse dans son bureau le ministre de l’intérieur, Nicos Nouris.
« L’impact du CIP est positif, il a permis de générer des excédents budgétaires utilisés pour rembourser la dette publique et d’inverser la tendance à la baisse des valeurs immobilières », se félicite, à Limassol, Akis Kyradjis, vice-président d’Arton Capital Cyprus, filiale d’un groupe canadien spécialisé dans les services liés à l’acquisition d’une citoyenneté contre investissements. « Cela a grandement contribué au succès du programme mis en place par la “troïka”, poursuit-il. La valeur nominale des investissements est estimée à 8 milliards d’euros, soit 42 % de notre PIB, et elle a réduit à elle seule les créances douteuses à 32 % du PIB. »