Coronavirus: les libertés individuelles mises à mal par les mesures d'urgence en Europe
2020-04-01 13:17:06
De nombreux gouvernements européens multiplient les mesures inédites pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Ce qui suscite l'inquiétude des organisations de défense des libertés.
Pour tenter d'endiguer la pandémie de Covid-19, dont l'Europe est devenue l'épicentre, les mesures prises par certains pays de l'Union européenne inquiètent.
Au nom du droit d'exception et de la crise sanitaire qui touche le monde entier, l'emploi d'outils de surveillance de masse, comme les données de géolocalisation des smartphones ou les drones, provoque un vif débat. Même si dans le cadre d'une pandémie mondiale, l'argument sanitaire peut se justifier, ces mesures doivent être « limitées » et « proportionnées ». C’est en tout cas dans ce sens que plaide Ursula von der Leyen.
En Europe, la question fait débat
Mardi 31 mars, au lendemain d’un vote en Hongrie donnant des pouvoirs quasi illimités au Premier ministre Viktor Orban, la présidente de la Commission européenne a alerté sur ces mesures. Dans un communiqué, elle a indiqué que les décisions prises par les États membres de l’UE devaient être « strictement proportionnées », « limitées à ce qui est nécessaire » et qu’elles ne « doivent pas durer indéfiniment ».
Des mesures de surveillance de masse, mises en place en Chine, à Taïwan ou en Corée du Sud et qui n’auraient sûrement jamais été acceptées par la population européenne en temps normal, trouvent aujourd’hui leur place dans le débat. Face au nombre de morts qui augmente quotidiennement, certaines démocraties européennes sont prêtes à prendre des mesures inédites. Si la Hongrie est un cas unique en Europe, les autres pays européens développent d’autres méthodes.
Surveillance par drone, contrôle des données de géolocalisation… le contexte de crise sanitaire est « en train de légitimer une utilisation de technologie de surveillance avec une puissance qu'on avait assez rarement vu avant », estime Martin Drago, juriste pour la Quadrature du Net, une organisation membre de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN).
De son côté, le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a réagi prudemment, indiquant que « la commission européenne évalue les mesures d’urgence prises par les États membres au regard des droits fondamentaux ».
L’innovation contre le Covid-19
Plusieurs pays européens ont déjà recours à l’utilisation des données de géolocalisation dans la lutte contre la pandémie pour suivre les déplacements de leur population. Mais elles doivent être anonymisées afin d’être conformes avec la directive ePrivacy, qui réglemente l’utilisation des données téléphoniques au niveau européen.
L'Italie, pays le plus durement touché par le Covid-19 en Europe, a été l’un des premiers États à mettre en place, dans la région de Lombardie, au Nord, un dispositif de surveillance de la population. Les opérateurs téléphoniques ont mis à disposition les données issues des smartphones pour contrôler les passages d'une borne téléphonique à une autre. Ainsi, les autorités ont pu déterminer, non pas le déplacement d'une personne, mais celui de la population en général et contrôler si le confinement était respecté.
Même constat en Bulgarie, où la police s'est vue accorder une autorité absolue sur le traçage numérique, rapporte notre correspondant à Sofia, Damian Vodénitcharov. Sur simple demande, les opérateurs mobiles peuvent être amenés à fournir les données dont ils disposent. La police n'aura pas accès au contenu des données en ligne, mais le contrôle judiciaire du traçage numérique et de la géolocalisation des téléphones portables est complètement absent. D'après la majorité au pouvoir à Sofia, ces prérogatives élargies sont nécessaires pour faire respecter les consignes de confinement et la quarantaine qui concerne 24 000 personnes. Avant le vote, le ministre de la Justice Danaïl Kirilov a toutefois demandé à Strasbourg une dérogation à la convention des droits de l'homme pour éviter d'éventuels procès de la part des citoyens bulgares.
« Au niveau du droit européen, du RGPD, c'est flou en terme de légalité »
En Pologne, le gouvernement a lancé une application mobile permettant de contrôler, à l'aide de selfies à envoyer plusieurs fois par jour aux autorités, le respect des mesures de confinement. « Quand un pays crée une application pour vérifier si vous respectez bien le confinement, avec reconnaissance faciale pour voir si c'est bien vous, au niveau du droit européen, du RGPD, c'est flou en terme de légalité », analyse Martin Drago.
Dans d’autres pays, comme la France ou l’Allemagne, la question demeure mais provoque une forte contestation. Invité sur France 2 le 26 mars, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a assuré que le gouvernement ne travaillait pas sur un traçage numérique. « Je fais confiance aux Français pour que nous n’ayons pas besoin de mettre en place ces systèmes qui atteignent la liberté individuelle de chacun », a-t-il affirmé.