Ecoles : une rentrée pour tous aurait été préférable
2020-06-01 18:57:57
« La vraie raison de la reprise partielle de l’école ne paraît ni économique[...] ni scolaire [...] mais tout simplement un galop d’essai tenté par le gouvernement en vue de la rentrée de septembre », estime Eric Debray, enseignant.
Alors qu’une grande partie du corps enseignant vient de faire sa rentrée d’après le confinement, beaucoup d’incompréhension persiste. A commencer par des injonctions contradictoires qui ne peuvent, par définition, être réalisées en parallèle. Comment peut-on envisager de remettre au travail des élèves privés de relations sociales pendant 55 jours - et pour un certain nombre aussi de continuité pédagogique, faute d’avoir été aidés par leur famille - et en même temps suivre un protocole de 64 pages issu du ministère de l’éducation nationale qu’il est impossible de mettre réellement en œuvre dans sa totalité, en particulier en maternelle.
Soyons clairs : avec l’application du protocole imposé aujourd’hui, il n’y a plus véritablement d’école possible. Ce qui se profile un peu partout, c’est un accueil très limité par petits groupes un jour sur deux ou sur trois par rotation, dans des écoles aux bâtiments pas toujours adaptés et au personnel d’entretien pas toujours suffisant pour une telle tâche. Quel sera l’intérêt pédagogique de revenir pour certains élèves pour quelques jours d’ici fin juin ? Surtout que ce sont les enfants dit « décrocheurs » qui risquent de s’abstenir le plus souvent de revenir.
Après avoir accueilli à plusieurs reprises des enfants de soignants, je me suis rendu compte qu’empêcher des enfants de toucher des affaires (dans la classe ou dans la cour) ou simplement de s’approcher très près de leurs camarades était impossible. Aucun cas de contamination n’a d’ailleurs été signalé pendant ces deux mois où les enfants de soignants étaient accueillis dans les écoles. Personnellement, je n’aurai pas vu d’inconvénient à m’occuper de nouveau de ma classe en entier en respectant deux critères essentiels : entraîner les enfants à se laver les mains régulièrement, un automatisme qui pourrait être utile pour l’avenir, et moi-même porter un masque pour me protéger et protéger mes collègues en premier lieu car les principales victimes du Covid-19 sont des adultes, essentiellement âgés.
Comme me l’a rappelé il y a quelques jours mon médecin, si on veut arriver à terme à l’immunité collective, condition sine qua non en dehors d’un vaccin ou d’un traitement efficace pour que le virus disparaisse, il ne faut pas empêcher les enfants de se contaminer car ils ne risquent rien. Seuls les parents âgés ou avec des pathologies lourdes devraient encore garder leurs enfants à la maison par précaution, afin que leur progéniture ne les contamine pas en retour.
D’une manière générale, l’Etat et ses représentants, par peur d’hypothétiques futurs procès en cas de contamination dans des institutions publiques, en particulier dans les écoles, se sont défaussés - à travers des protocoles impossibles à tenir - sur les maires, qui eux-mêmes parfois se sont à leur tour défaussés sur les parents en leur demandant une décharge. A l’image de la problématique des masques où les autorités n’ont pas dit la vérité, la vraie raison de la reprise partielle de l’école ne paraît ni économique, car on encourage massivement la poursuite du télétravail et le chômage partiel est encore en vigueur jusqu’au mois de juin, ni scolaire en vue d’aider les décrocheurs, car ce n’est pas en venant un jour sur deux que l’on peut réellement se remettre au travail mais tout simplement un galop d’essai tenté par le gouvernement en vue de la rentrée de septembre.
Or l’école a été créée pour lutter contre les inégalités matérielles, sociales et culturelles et donner le même droit d’accès aux savoirs à tous les enfants. Ce lieu d’apprentissage du « faire société » ne peut être réduit à des demi-journées ou des « un jour sur deux », au risque de représenter un recul important. La rentrée pour tous maintenant ou repoussée en septembre aurait été me semble-t-il une solution plus constructive.