Coronavirus : peut-on infecter volontairement des personnes saines pour accélérer le vaccin ?
2020-06-24 16:52:35
Certains chercheurs plaident en faveur d’un raccourcissement de la procédure régissant les essais cliniques pour mettre au point un vaccin. Un « challenge infectieux » qui soulève un dilemme éthique.
Aux Etats-Unis, la controverse fait rage. En Europe, elle agite surtout la Grande-Bretagne. Elle pose un véritable dilemme moral : pour hâter la mise au point d’un vaccin contre le Covid-19, peut-on infecter des personnes en bonne santé et leur faire courir le risque de développer une maladie qui a déjà tué plus de 450 000 personnes à travers le monde ? Ou dit autrement, peut-on volontairement mettre en péril la santé de quelques-uns pour en sauver potentiellement des milliers d’autres ? Les défenseurs de cette méthode n’ont aucun doute. Le titre de l’article publié par le pédiatre Stanley Plotkin (université de Pennsylvanie) et le bioéthicien Arthur Caplan (université de New York), le 22 mai, dans la revue spécialisée Vaccines est clair : « A maladie extraordinaire, solutions extraordinaires. » « Développer et distribuer un vaccin efficace aussi rapidement que possible est un impératif moral », assurent-ils, qui impose de « repenser la voie habituelle ».
A l’inverse, William Haseltine, président du think tank Access Health International et ancien professeur à l’école de médecine de Harvard, estime que « dans le cas présent, cette procédure extraordinaire n’est ni nécessaire, ni efficace, ni éthique ».
Les deux parties s’accordent en tout cas sur un mot : extraordinaire. Elle conduit, en effet, à raccourcir la sacro-sainte procédure régissant les essais cliniques, qui se déroule en trois phases. Une première, réalisée sur un faible nombre d’humains, vérifie l’absence d’effets secondaires. La deuxième, souvent conduite sur quelques centaines ou milliers de personnes, poursuit cette mission mais surtout s’attache à vérifier que le vaccin permet bien le développement d’anticorps. Mais sauront-ils protéger contre le virus ? C’est le rôle de la troisième phase, la plus longue et la plus lourde.
Cette fois, des dizaines de milliers de volontaires sont enrôlés : la moitié reçoit le produit à tester, l’autre un placebo. Puis ils sont renvoyés chez eux, vivre dans des conditions normales, en prenant les précautions d’usage contre le virus. Six mois, un an, ou dix-huit mois plus tard, les chercheurs contrôlent les deux groupes. Si tout se passe bien, les personnes vaccinées auront été mieux protégées. Mais pour que le résultat soit statistiquement valable, il faut du temps. Il faut aussi que le virus circule.
« Risques mortels »
Dès le 31 mars, trois médecins américains proposent, dans The Journal of Infectious Diseases, de remplacer cette dernière phase par une « infection contrôlée ». Cette fois, il s’agit d’infecter délibérément quelques centaines de personnes, dont la moitié ont été vaccinées, et d’étudier les résultats. « De toute évidence, exposer des volontaires à ce virus présente pour eux des risques sévères, possiblement mortels, écrivent Nir Eyal, Marc Lipsitch et Peter Smith. Mais ces études, en accélérant l’évaluation des vaccins, pourraient réduire sensiblement le bilan global du coronavirus. »