« A la fois fantastique et étrange », Dubrovnik, en Croatie, vidée de ses touristes

  • 2020-06-27 17:30:06
La « perle de l’Adriatique », symbole du tourisme de masse, vit une période unique depuis près de trente ans : un début d’été sans visiteurs. Les habitants rêvent d’un nouveau modèle. Ces derniers temps, à Dubrovnik (Croatie), ils sont partout. Se prélassent à l’ombre des maisons de pierre, trottinent le soir sur le marbre blanc et deviennent bruyants la nuit. Voilà trois mois que les chats ont pour eux la « perle de l’Adriatique », première destination touristique de Croatie. Pas grand monde n’est venu la réclamer depuis le déconfinement, en mai, d’un pays largement épargné par la pandémie de Covid-19. Dubrovnik, dont le ravissant centre-ville médiéval était jusqu’ici submergé par le tourisme de masse, s’apprête à passer un été hors norme. Les anciens évoquent celui de 1992, après le siège tenu face aux forces yougoslaves : ni eau ni touristes. Le week-end du 20 et 21 juin, 2 355 visiteurs ont passé la nuit à Dubrovnik, un chiffre en baisse de 89 % par rapport à 2019. Personne n’est descendu du moindre bateau de croisière, dont la reprise du trafic, à la fin de l’été, n’est qu’une hypothèse. La ville, à la pointe sud de la Croatie, est difficilement accessible en voiture, et quelques vols européens viennent seulement de reprendre. Pour le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ses deux premiers pourvoyeurs, il faudra attendre. Quelques fortunes russes et ukrainiennes ont amarré leur yacht au port de plaisance, profitant d’un calme jamais vu dans la baie depuis vingt ans. « Elle a cessé d’être une ville pour devenir une destination » « Ce qui se passe, c’est hors du temps. A la fois fantastique et étrange, comme une peinture de [Giorgio De] Chirico. » En revenant dans sa ville après des études d’histoire de l’art, Karmen Gabrilo, 28 ans, a appris à détester l’été, synonyme de manœuvres savantes pour contourner la foule, de tapage nocturne et d’effluves de friture. Depuis le mois de mai, ses sens revivent : l’odeur de la mer et du ragoût qui s’échappe des fenêtres, le son de la langue croate et des cris d’enfants, la vue d’un pan de la cathédrale que cachaient les parasols des terrasses ou ce bas-relief, qui lui avait toujours échappé, à un angle de la rue Prijeko : « Je n’osais plus l’emprunter tant les tables des restaurants bouchent le passage ; et quand je devais vraiment y marcher, je regardais mes pieds. » On a aussi ressorti les vélos, qui peuvent enfin circuler, et, dans cette ville de pierre, on a vu un petit bout de vert : de l’herbe a poussé entre les pavés de marbre. Comme tous les jeunes d’ici, Mme Gabrilo a vécu du tourisme la saison dernière. Pas cette année : une majorité d’hôtels et de restaurants sont encore fermés. Elle a pris le parti de redécouvrir sa région et d’y inviter ses amis. D’habitude, elle leur enjoint de ne plus venir à partir du mois de mai : « La chose la plus terrible que Dubrovnik ait connue, c’est lorsqu’elle a cessé d’être une ville pour devenir une destination. »

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